Dans le Nord-Ouest canadien, en Alaska et en Sibérie, les troupeaux de caribous se réduisent comme peau de chagrin. Ce grand mammifère à bois, proche du renne européen, pendant longtemps principal soutien de la vie humaine dans ces latitudes si peu humaines, subit de plein fouet les conséquences du réchauffement climatique, estiment les scientifiques.

Dans les vastes étendues de toundra du Yukon, territoire fédéral du Canada à la frontière avec l'Alaska, le troupeau de caribous «Beverly», qui comptait plus de 200 000 têtes il y a seulement dix ans, est devenu difficilement visible aujourd'hui.

Le phénomène concerne tous les troupeaux de caribous, dans toutes les régions. Ces cervidés migrateurs au pelage brun foncé, dont la population totale se chiffrait à plusieurs millions au Canada, en Alaska et en Sibérie, ont perdu des centaines de milliers de leurs représentants en quelques années.

De nombreux troupeaux de caribous ont perdu plus de la moitié de leurs membres par rapport à leurs effectifs maximaux d'il y a quelques décennies, selon les résultats d'une vaste étude scientifique. «Ils se tiennent au bord du précipice, menacés d'un déclin majeur», interpellent les auteurs de cette enquête.

Se fondant sur des dizaines d'études précédentes, des données gouvernementales, les observations des responsables de la faune et d'autres sources, ces biologistes de l'Université d'Alberta sont arrivés à la conclusion que 34 des 43 troupeaux étudiés à travers le monde étaient en déclin, avec un recul moyen de 57% par rapport à leur pic.

Leurs recherches, publiées dans le numéro de juin de la revue «Global Change Biology», n'ont fait que renforcer les craintes sur l'avenir de ce mammifère ongulé, connu pour ses longues migrations jusqu'aux régions arctiques.

Les auteurs de l'étude sont convaincus que l'impact insidieux du changement climatique, ses effets sur les équilibres naturels, la perturbation des habitudes alimentaires ont contribué à décimer ce ruminant, chassé par l'homme depuis l'Age de pierre et encore aujourd'hui l'une des principales ressources de subsistance des Indiens Gwich'in, le peuple autochtone du Yukon et de l'Alaska.

Surnommés le «Peuple du Caribou», les Indiens Gwich'in ont été parmi les premiers à tirer la sonnette d'alarme à la fin des années 90 en constatant que le troupeau «Porcupine» -du nom de la rivière traversant leur territoire- déclinait à grande vitesse, passant de 178 000 têtes en 1989 à 100.000 aujourd'hui, soit une baisse de 44% en 20 ans.

Pour les Gwich'in, le phénomène est particulièrement inquiétant. Depuis 8.000 ans, ces Indiens ont réglé leur vie sur celle des caribous: ils se sont installés le long de leurs voies de migration et se nourrissent en hiver de leur viande. Ils récupèrent presque tout de cet animal: cuir, os, tendons pour leurs vêtements, abris, outils, fils de couture et même leurs tambours.

Dans un entretien à l'Associated Press, Liv Solveig Vors, principal auteur de l'étude, pense que les causes du déclin des caribous sont désormais établies. «Le changement climatique modifie la manière dont (les caribous) interagissent avec leur nourriture, directement et indirectement», explique-t-elle.

Ainsi, la hausse des températures provoquée par le réchauffement climatique a été deux fois plus élevée dans l'Arctique qu'ailleurs. Les équilibres naturels en ont grandement souffert. La multiplication l'été des moustiques, mouches et autres insectes parasitaires rend fous les caribous et les entraîne dans des fuites effrénées, ce qui les affaiblit et les empêche de se nourrir et de s'engraisser pour l'hiver.

Le retour du printemps, accompagné du dégel et de la réapparition de la végétation, se produit deux semaines plus tôt. Lors de leurs grandes migrations, les caribous doivent arriver à temps pour se nourrir des premiers arbustes, particulièrement nourrissants. Mais, si les femelles sont pleines, les cervidés prennent plus de temps pour migrer et trouvent une végétation moins riche.

Autre phénomène: des pluies d'automne verglaçantes emprisonnent le lichen -fourrage d'hiver du caribou- sous d'impénétrables couches de glace.

Mme Vors ne croit pas que le caribou aura le temps d'adapter son comportement à un environnement se modifiant aussi vite: «Les changements dans l'évolution (des espèces) tendent à se dérouler sur des échelles de temps plus longues que celle du changement climatique actuel».