Les Allemands sont les parmi les Européens les plus assidus pour trier leurs déchets, protester contre le nucléaire ou manger «bio», mais la conscience écologique vacille dès qu'on touche à la puissante industrie, surtout automobile.

Ainsi, ces dernières semaines, la chancelière Angela Merkel est-elle montée plusieurs fois au créneau pour arracher à l'Union européenne des compromis. Les constructeurs automobiles auront un délai supplémentaire pour réduire leurs émissions de CO2, et elle a obtenu un assouplissement des droits à polluer dans le cadre du «plan climat».

Face à la récession, celle qui fut surnommée «Miss World» pour ses engagements écologistes ne veut pas de «mesures qui mettent en danger des emplois».

Une étude publiée récemment par le ministère de l'Environnement montre pourtant que 91% des personnes interrogées estiment que la protection de l'environnement est importante. «La population est préparée à l'action», commente Harry Lehmann, responsable du Bureau fédéral pour l'environnement (UBA).

«Il y a une réelle contradiction entre la conscience écologiste des Allemands et les positions défendues (actuellement) par la chancelière», estime Felix Matthes, expert énergie de l'Öko-Institut de Fribourg (ouest) et présent lors des négociations à Bruxelles la semaine dernière.

En cause selon lui: «la concurrence interne» au sein du parti conservateur CDU, à neuf mois de législatives. «Mme Merkel a voulu se présenter comme la grande chancelière de l'industrie, et n'a pas résisté à la pression... On verra si elle le paie aux prochaines élections», poursuit-il.

L'Allemagne est en effet la première puissance industrielle d'Europe et de son automobile dépend directement et indirectement un emploi sur sept.

«Il y a un patriotisme industriel», explique pour l'AFP Wolfgang Lohbeck, spécialiste transports pour l'association écologiste Greenpeace. «De par l'histoire, les gens s'identifient avec des noms comme Volkswagen, Daimler ou Siemens. C'est l'efficacité allemande, la classe moyenne... des valeurs que les gens ont intériorisées», selon lui.

Mais, plus profondément, l'expert décrypte un phénomène bien spécifique à l'Allemagne: «Si les Allemands sont sensibilisés à l'environnement, ils ont toujours réussi à refouler le rôle de l'automobile.»

«Ainsi toute la publicité pour les voitures en Allemagne vise une chose: le statut social de quelqu'un est presque exclusivement lié à sa voiture. Et chacun s'identifie avec une marque en particulier», estime M. Lohbeck.

Bien sûr en Allemagne, comme ailleurs, les ventes de voitures se sont récemment écroulées, avec une chute de 18% en novembre. Mais la crise économique n'efface pas le puissant facteur d'identification.

Ainsi, détaille l'écologiste, l'homme sportif, qui se veut performant et créatif, rêvera plutôt d'une BMW, quand les classes supérieures bien établies roulent en Mercedes.

Conclusion, la population, férue de grosses berlines, «soutenait sans doute en majorité la position de la chancelière» pour allonger les délais de réduction de CO2 pour les véhicules.

Reste un dernier facteur d'explication: face à la récession, nombreux sont les Allemands à s'inquiéter de l'avenir de leurs emplois, d'autant que les entreprises n'hésitent pas à brandir la menace de délocalisations en cas de réglementation environnementale trop exigeante.

D'où la prudence du premier syndicat du pays. «Il faut des mesures qui assurent à la fois l'environnement et les emplois», estime pour l'AFP Angelika Thomas, experte environnement d'IG Metall. Si le syndicat «n'a pas dit non» à l'objectif de 120 grammes de CO2 pour les voitures, «la question est de trouver un chemin réaliste pour l'appliquer», selon elle.