Les vignes espagnoles devront-elles gagner les cimes pour résister aux fortes canicules à venir? L'idée est sérieusement avancée par des experts et viticulteurs pour combattre un changement climatique qui menace de transformer la péninsule ibérique en zone semi-désertique.

L'Espagne, qui accueille le plus vaste vignoble de la planète (1,16 million d'hectares contre 852.000 en France) et compte des appellations de renom comme Rioja ou Ribera del Duero, «est en première ligne pour le réchauffement climatique», explique le chimiste Juan Francisco Cacho, spécialiste du vin et professeur à l'Université de Saragosse (nord).

Le pays, déjà le plus sec d'Europe, est menacé par une «africanisation» de son climat et jusqu'à un tiers de son territoire risque «de manière sévère» une désertification, selon le ministère de l'Environnement.

Du coup les grands domaines viticoles et la Fédération espagnole du vin se mobilisent autour du projet «Demeter», destiné à «rassembler les connaissances nécessaires pour faire face aux défis du changement climatique».

La vigne aime le soleil, tous les vignerons le savent. Mais trop de chaleur nuit à un bon mûrissement du raisin, explique le professeur Cacho.

La canicule gorge rapidement les grappes de sucre tandis que les «composants phénoliques» qui donnent au vin ses arômes, sa consistance et sa couleur, mûrissent plus lentement.

Aussi les viticulteurs espagnols doivent choisir entre récolter tôt et produire un vin avec le bon degré d'alcool mais encore «vert» et vendanger plus tard des raisins gorgés de sucre qui font des vins bons mais très alcoolisés.

«Les domaines viticoles choisissent d'attendre... Si bien que les vins produits aujourd'hui font souvent 14, 15 voire 16 degrés d'alcool contre 12 degrés avant», explique M. Cacho.

Le projet Demeter s'attache précisément «à recherche les pratiques viticoles qui retardent la maturation», explique Mireia Torres, directrice technique d'un grand domaine espagnol, Bodegas Torres, basé en Catalogne (nord-est).

«Nous disposons d'une parcelle expérimentale où on analyse les effets de différentes pratiques viticoles par rapport au climat», explique-t-elle.

Une piste explorée est l'altitude. Dans les zones élevées, la vigne souffre moins de la chaleur: les nuits y sont plus fraîches, ce qui permet un mûrissement plus harmonieux des fruit.

Aux Bodegas Perez Pascuas dans la zone Ribera del Duero (centre-nord), trois générations de viticulteurs ont fait la même constatation: «les vignes en hauteur donnent des vins de meilleurs qualité», explique le petit-fils du fondateur, José Manuel Perez Ovejas.

Ses vignes se situent toutes à plus de 820 m d'altitude et sont relativement épargnées par les enchaînements d'étés caniculaires.

«Les vignobles (espagnols, ndlr) se situent au maximum à 800 m d'altitude. Dans 15 ans, il faudra planter les vignes entre 800 et 1000 m et les grandes caves sont déjà en train d'acheter des terrains en hauteur», souligne le professeur Cacho.

Oenologue pour le select domaine «Viñedos Alonso del Yerro» (Ribera del Duero), le Français Lionel Gourgue estime qu'un déplacement en altitude du vignoble espagnol ne serait, au final, qu'un juste retour au bon sens paysan.

«La vigne a toujours été plantée sur les coteaux (...). Dans les années 80, il y a eu des erreurs et on a planté n'importe où», explique-t-il.

C'est le cas notamment dans les plaines de la région de Castille-la-Manche (centre-sud). Pour survivre, les viticulteurs y devront «peut-être un jour arroser» leur vigne, avance M. Gourgue.