Il fut un temps où la science était le prétexte utilisé pour l'inaction face aux changements climatiques. Aujourd'hui, c'est l'économie. C'est du moins l'avis de plus d'une centaine d'économistes américains, qui ont lancé le 21 mai un effort de sensibilisation à l'utilité que peut avoir leur discipline, face aux défis écologiques.

«Le prétexte pour ne pas agir n'est plus un scepticisme à l'égard de la science; au lieu de cela, certains allèguent plutôt qu'il en coûterait trop cher», lit-on dans leur communiqué de présentation. C'est ainsi, qu'à ce qu'ils appellent la junk science, aurait succédé la junk economy. Le point tournant pour beaucoup d'économistes fut le Rapport Stern. En 2006, paraissait un rapport alarmant - un de plus - sur le réchauffement climatique. Mais celui-ci, au lieu de parler d'écosystèmes et de fonte des glaces, parlait de récession économique. Il était écrit dans un langage propre à faire réagir gens d'affaires et politiciens.

L'auteur de ce rapport était Nicholas Stern, qui avait été économiste en chef de la Banque mondiale. Certes, on avait vu au cours de la décennie précédente des économistes apporter leur soutien à différentes causes environnementales; mais rien encore de cette ampleur. Dans son rapport, réalisé à la demande du ministère britannique de l'Économie, Stern écrivait que si les gouvernements ne réagissaient pas dans les 10 prochaines années, le réchauffement climatique pourrait coûter à l'économie mondiale la rondelette somme de 7000 milliards de dollars.

Le chiffre a été contesté (comment quantifier à l'avance des catastrophes naturelles, des réfugiés, etc.), mais le fait que les impacts des changements climatiques soient mesurés par un économiste, plutôt qu'un scientifique, leur avait tout à coup donné une autre couleur.

Pour la science économique elle-même, ce fut un tournant, écrit l'un d'eux, Terry Barker, dans la revue Climatic Change: «la pensée économique sur le climat est passée, avec le Rapport Stern, d'une vision simpliste sur l'analyse coûts-bénéfices à une nouvelle analyse multidisciplinaire du risque». Barker est l'un de ces 100 et quelques économistes réunis sous ce chapeau qu'ils ont appelé RealClimateEconomics - un nom inspiré du blogue Real Climate, «effort de longue date des climatologues pour dissiper la junk science».

La bibliographie qui constitue pour l'instant l'essentiel de RealClimateEconomics permet au profane d'en apprendre un peu plus sur l'économie : qui savait, par exemple, qu'il existe des études qui se targuent de pouvoir mesurer «l'économie de l'inaction»?

RealClimateEconomics est un projet financé en partie par un groupe environnemental appelé EcoTrust, lequel est également, depuis 2007, derrière une autre initiative tentant de jeter un pont économie-écologie, Ecotrust and Economics for Equity and the Environment. Ou E3, qui se décrit ainsi : «nous sommes des économistes troublés par l'injustice sociale et environnementale et par le fossé entre riches et pauvres, fossé qui s'élargit».

La suite est encore plus étonnante pour qui n'a pas suivi les débats entre économistes de gauche et de droite depuis le début de la crise économique : « si nous voulons changer ce qui ne fonctionne pas avec notre économie, nous devons changer ce qui ne fonctionne pas avec la science économique et la façon dont elle est actuellement enseignée et pratiquée ». Parmi les membres fondateurs, Frank Ackerman, de l'Université Tufts, à Boston, un économiste qui a beaucoup écrit sur l'économie des changements climatiques («l'économie de l'inaction», c'est lui) et fervent critique de l'omniprésence de l'analyse coûts-bénéfices dans toute forme de politique environnementale.

Comme quoi le discours évolue, en coulisse.

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Climate Progress, un blogue lui aussi voué à fournir une perspective avant-gardiste sur les intersections entre climat, politique et économie. Son principal auteur, Joseph Romm, bien connu dans la blogosphère scientifique pour ses interventions percutantes, fut sous-secrétaire d'État adjoint à l'Énergie sous le gouvernement Clinton.