Le ministre David Heurtel a fait disparaître ce que son gouvernement présentait comme l'un des principaux «bénéfices pour le citoyen» dans la réforme actuelle de la Loi sur la qualité de l'environnement

C'est ce que dénoncent Me Jean Baril, spécialiste de l'accès à l'information environnementale, et plusieurs groupes écologistes.

Dans un amendement déposé le 7 décembre et appuyé par la Coalition avenir Québec (CAQ), le ministre du Développement durable, de l'Environnement et de la Lutte contre les changements climatiques, David Heurtel, a consacré le droit de veto des industriels sur la divulgation d'informations techniques rattachées à un certificat d'autorisation environnementale, dès lors qu'elles peuvent être qualifiées de «confidentielles».

Pourtant, la version initiale du projet de réforme de la Loi sur la qualité de l'information allait exactement dans le sens contraire, dénonce Me Baril.

Ce dernier a reçu en 2013 le prix Jean-Charles Bonenfant, décerné par l'Assemblée nationale à la meilleure «thèse de doctorat... portant sur la politique au Québec» pour son traité sur l'accès à l'information environnementale.

«Aujourd'hui, j'ai le goût de rendre mon prix», a-t-il dit jeudi, lors d'une rencontre d'information organisée par la Fondation David Suzuki.

En présentant son amendement législatif en commission parlementaire, le ministre Heurtel a affirmé qu'il s'agissait d'une question de «concordance» avec la Loi sur l'accès aux documents des organismes publics sur la protection des renseignements personnels.

Il a affirmé qu'il y «avait une réelle crainte qu'on pourrait causer un désavantage réel à des entreprises québécoises» en maintenant la version originale du projet de loi.

Le ministre fait aussi référence à une «jurisprudence de la Commission d'accès à l'information (CAI)... qui date de deux décennies».

C'est justement cette décision calamiteuse pour le droit du public à l'information de nature environnementale qu'il fallait renverser, souligne Me Baril.

Dans cette décision de 1997, la CAI avait pour la première fois donné préséance au droit d'une entreprise au secret industriel, au détriment du droit du public à connaître les conditions d'exploitation d'une installation polluante.

Dans sa version initiale de juin 2016, le projet de loi du ministre Heurtel rétablissait la primauté du droit du public à l'information, conformément aux intentions affirmées dans son Livre vert de 2015, ce qu'avaient salué Me Baril ainsi que plusieurs groupes environnementaux.

Cependant, au cours de l'automne, le Conseil patronal de l'environnement du Québec (CPEQ) et les autres associations patronales avaient dénoncé cette approche qui menaçait, selon eux, la protection des secrets industriels.

Le porte-parole en matière d'environnement du Parti québécois, Sylvain Gaudreault, ne s'est pas opposé à l'amendement du ministre Heurtel le 7 décembre dernier.

Hier, toutefois, il estimait que M. Heurtel avait été «influencé par les industries». «On va regarder avec le ministre son ouverture à revenir à la version originale», a affirmé M. Gaudreault à La Presse.

De son côté, Me Baril affirme qu'il y a moyen de protéger les réels secrets industriels tout en informant correctement les citoyens, sans pour autant donner un droit de veto aux entreprises. «On demande le retrait de cet amendement, quitte à ajouter une exception pour le secret industriel», dit-il.

Le ministre Heurtel n'a pas voulu répondre aux questions de La Presse hier, faisant savoir par l'entremise de son attachée de presse que «le projet de loi est toujours en étude détaillée en commission parlementaire».

Des renseignements tenus secrets

Les entreprises s'opposent systématiquement à la divulgation des rapports techniques soumis à l'appui d'une demande de certificat d'autorisation, même s'il est douteux que ceux-ci recèlent réellement des secrets industriels. En voici deux exemples.

Carrière à Chertsey

Des études géologiques avaient été réalisées par un promoteur d'une nouvelle carrière sur le territoire de la municipalité de Chertsey. Mais cette dernière n'a jamais pu y avoir accès, même si le projet suscitait une forte opposition. La commissaire Jennifer Stoddart a estimé que tous les documents demandés étaient «confidentiels».

Rainette faux-grillon

Au cours de l'été 2014, La Presse a fait plusieurs demandes d'accès à l'information à la Ville de La Prairie pour obtenir tous les documents relatifs à un projet immobilier autorisé par le ministère de l'Environnement qui menaçait l'habitat d'une espèce en péril, la rainette faux-grillon. Le promoteur Ted Quint a refusé l'accès à certains documents, dont ceux décrivant une méthode censée permettre à l'espèce de se déplacer vers un parc de conservation.

- Avec Éric-Pierre Champagne, La Presse