La population de bernaches explose dans le sud du Québec, et elles sont de plus en plus nombreuses à venir passer l'été dans la région de Montréal. Pour les agriculteurs ou pour les personnes qui veulent profiter des parcs, des pistes cyclables et des terrains de golf, c'est une plaie. Une peste. C'est que chacun de ces oiseaux très territoriaux - qui en imposent et qui ne craignent plus ni les vélos ni les piétons - laisse derrière lui, chaque jour, quelque 900 grammes de fèces.

Une présence massive chez nous

Au Québec, l'idéal serait d'avoir de 2000 à 3000 couples de bernaches. On en est à 11 300, explique Daniel Bordage, chef de l'unité des milieux marins et aquatiques à Environnement et Changement climatique Canada. « Depuis 2004, on estime que la population augmente annuellement de 7 %, ce qui est très au-delà de nos objectifs », explique-t-il.

Jean-François Giroux, professeur de sciences biologiques à l'Université du Québec à Montréal, suit de près ces oiseaux dans les îles de Varennes. « En 1992, trois couples y nichaient. Ces années-ci, nous en sommes à 300 couples. Cela fait 900 bébés en fin de saison. »

Comme il n'y a plus beaucoup de place dans les îles de Varennes, les couples nicheurs se trouvent maintenant d'autres endroits dans la grande région de Montréal.

Les raisons de cette invasion

Comme l'explique le professeur Giroux, il y aurait environ 1 million de bernaches dans le couloir du Québec, de l'Ontario et du nord-est des États-Unis. La population globale est stable, dit-il, mais comme les Américains sont nombreux à vouloir s'en débarrasser, ils détruisent les nids et les oeufs. Résultat : les bernaches, qui n'ont pas d'oisillons à s'occuper, viennent chez nous.

Pierre Gingras, journaliste spécialisé dans les oiseaux, note que s'ajoutent aussi toutes ces bernaches qui, après la reproduction, viennent muer par milliers dans la région de Montréal. Les oiseaux non reproducteurs passent aussi l'été avec nous.

Les conséquences de cet afflux

Les bernaches, qui mangent les jeunes plantules, causent de sérieux maux de tête aux agriculteurs, note M. Bordage, d'Environnement Canada. Les mesures d'effarouchement se multiplient donc. À Aéroports de Montréal, un programme spécial a aussi été mis en place pour contrer ces oiseaux, qui ont d'ailleurs été ceux qui ont percuté un avion de la US Airways en 2009 et qui ont obligé son atterrissage spectaculaire sur le fleuve Hudson, à New York. Au terrain de golf Sainte-Rose, « les gens se plaignent de plus en plus des excréments. Ça nous oblige à faire beaucoup plus d'entretien », explique Dominic Gravel, directeur de l'endroit, qui ajoute que des oiseaux sont régulièrement blessés par des balles de golf.

Une ville qui a pris les grands moyens

« Beaucoup de gens fréquentent le parc Daniel-Johnson, à Granby. Il y a des enfants, des gens qui font du canot-camping, des joueurs de volleyball. Les bernaches nous causaient un gros problème de salubrité, dit Serge Drolet, coordonnateur à l'environnement à Granby. Pendant longtemps, des employés municipaux ramassaient les fientes, mais là, ça ne suffisait plus. »

Des lumières stroboscopiques ont donc été installées pour feindre la présence de prédateurs. « Ç'a fonctionné seulement un an », dit M. Drolet.

Une clôture haute de 75 centimètres et longue de 1,5 kilomètre a donc été installée (les bernaches perdent leurs plumes de vol pendant la mue et sont ainsi très embêtées) pour les éloigner. Un fauconnier a aussi été embauché. « Toutes ces mesures mises ensemble ont permis d'éloigner du parc la grande majorité des oiseaux. »

Quelques solutions...

Environnement Canada note qu'une petite clôture le long des cours d'eau problématiques est de fait très efficace, de même que « des rubans de papier d'aluminium qui réfléchissent la lumière. Ça aussi, ça déplaît aux bernaches », dit M. Bordage.

Certains propriétaires de terrains de golf et de camping invitent aussi les gens à venir promener leur chien chez eux pour éloigner les bernaches. En région agricole, en raison de la trop grande prolifération des bernaches, la chasse à ces oiseaux s'ouvre deux semaines plus tôt que pour les autres espèces. Chaque année, les chasseurs en capturent plus de 500 000, selon Environnement Canada.

... et quelques mesures à ne pas prendre

Comme le souligne M. Bordage, ces oiseaux sont protégés par le règlement sur les oiseaux migrateurs. Il est donc interdit de détruire les oeufs ou les nids si on n'a pas de permis en ce sens. Seules les méthodes douces évoquées plus haut sont permises. Cela ne signifie pas pour autant qu'il faille nourrir la bête. Car si ces oiseaux sont de plus en plus nuisibles, ceux qui ont la mauvaise idée de leur donner à manger contribuent nettement au problème, ont tous fait remarquer les experts interrogés.