Des millions de dollars du Fonds vert financent des programmes qui ont un effet incertain, voire inexistant, sur les émissions de gaz à effet de serre (GES) du Québec, révèle une série de documents obtenus par La Presse.

Le Parti québécois a colligé la totalité des « fiches de suivi » remplies par les ministères qui reçoivent de l'argent du Fonds vert. L'analyse de ces 500 pages de documents révèle que les fonctionnaires n'ont parfois pas la moindre idée de l'impact de leurs programmes sur les efforts de lutte contre les changements climatiques.

Quelques exemples ? Le ministère des Ressources naturelles écrit noir sur blanc qu'« il n'y a pas de cible de réduction d'émissions de GES » associée au programme Technoclimat. Les responsables de Véloce II, un programme d'aide financière aux infrastructures cyclables, reconnaissent que son impact est « très difficile à documenter ».

Autre constat : l'argent destiné aux programmes du Fonds vert n'est pas dépensé. Seulement 30 % du budget 2013-2017 du programme Roulez électrique a été utilisé. La proportion est de 23,5 % pour Branché au travail, 31 % pour Chauffez vert et 16 % pour le programme visant la réduction des GES dans le transport intermodal (PREGTI).

Pierre-Olivier Pineau, titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l'énergie à HEC, a analysé ces documents à la demande de La Presse. Selon lui, ils prouvent que le Fonds vert finance une constellation de programmes « mal dirigés ».

« On a un manque flagrant de vision dans notre approche à la lutte contre les changements climatiques », dit Pierre-Olivier Pineau.

« Ça se traduit par une panoplie de programmes dont on n'arrive même pas à dépenser l'argent, ce qui est lamentable. Mais dans un sens, autant ne pas le dépenser parce qu'il serait mal dépensé ! »

Les programmes du Fonds vert servent en général à encourager des initiatives vertes, souligne le chercheur. Or, Québec devra tôt ou tard adopter des mesures contraignantes, notamment à l'endroit des automobilistes, s'il veut réduire de manière tangible les émissions, puisque les transports demeurent la principale source de pollution de la province.

« Si on n'a que des carottes et jamais de bâton, ça ne marchera pas », résume M. Pineau.

Le Fonds vert est le principal outil du gouvernement québécois dans sa lutte contre les changements climatiques. Il est financé par les revenus du marché du carbone, dont les coûts pour les entreprises sont refilés aux consommateurs. Ses dépenses doivent en principe financer des initiatives de développement durable.

Gaudreault inquiet

Plusieurs initiatives financées par le Fonds ont été critiquées dans les derniers mois, notamment des subventions à Air Canada pour l'installation d'ailerons sur ses appareils et une autre pour la construction d'un oléoduc. Les fiches de suivi, que l'équipe de recherche du Parti québécois a colligées, inquiètent au plus haut point le chef par intérim, Sylvain Gaudreault.

« Il faut donner un sérieux coup de barre », résume M. Gaudreault, qui fait du développement durable son principal cheval de bataille pendant son mandat intérimaire.

« Contrairement à ce qu'il claironne depuis la conférence de Paris, le premier ministre ne peut pas se prétendre le champion de l'environnement quand il n'est pas capable d'évaluer l'impact de son principal programme pour atteindre ses objectifs climatiques », soutient Sylvain Gaudreault, chef par intérim du Parti québécois.

Il craint que le Québec soit incapable d'atteindre ses objectifs climatiques de 2020, et même ceux de 2030, s'il ne change pas de manière draconienne la manière dont le Fonds vert est géré.

Le gouvernement Couillard a annoncé l'hiver dernier une réforme de la gouvernance du Fonds vert, qui sera désormais administré par un conseil d'administration de neuf personnes. Une mesure que M. Gaudreault juge insuffisante considérant l'urgence de faire fléchir les émissions québécoises de GES.

« Il faut revoir entièrement le plan de match pour 2020 parce que sinon, c'est tout le Québec qui va perdre sa crédibilité sur la scène internationale, prévient-il. Le premier ministre, en allant à la conférence de Paris, a tellement mis la barre haut en disant qu'il est le champion de l'environnement, qu'il faut maintenant qu'il soit crédible. »

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Les objectifs du Québec

Québec s'était engagé à réduire ses émissions de 20 % sous le seuil de 1990 d'ici 2020. Si la tendance se maintient, il va rater cette cible. Entre 2010 et 2014, les émissions québécoises de GES ont augmenté, selon le dernier rapport du gouvernement canadien aux Nations unies. Le gouvernement Couillard a fixé une nouvelle cible pour 2030 : une réduction de 37,5 % sous le niveau de 1990.

Heurtel défend le Fonds

Même s'il finance des programmes qui n'ont aucun effet sur les émissions de gaz à effet de serre (GES), le Fonds vert reste le meilleur outil pour atteindre les cibles climatiques du Québec, soutient le ministre de l'Environnement, David Heurtel, dans une déclaration écrite, envoyée en réponse aux questions de La Presse. Il affirme que la réforme « en profondeur » annoncée l'hiver dernier le rendra plus efficace et transparent.

Question: Pourquoi le Fonds vert finance-t-il des programmes aux effets inexistants ou incertains sur les émissions de GES du Québec ?

Réponse: Les sommes issues du marché du carbone qui transitent par le Fonds vert sont investies avec deux objectifs : l'atteinte des objectifs de court (2020), moyen (2030) et long terme (2050) du Québec en matière de réduction d'émissions de GES, ainsi que l'adaptation de la société québécoise aux impacts des changements climatiques. [...] Les investissements en adaptation ne génèrent pas de réduction d'émissions, mais permettent d'éviter des coûts humains et financiers importants en réduisant les risques associés aux changements climatiques (lutte contre les vagues et les îlots de chaleur, adaptation de la gestion forestière, adaptation à l'érosion côtière, etc.).

Question: Pourquoi l'argent du Fonds vert n'est-il pas dépensé ?

Réponse: La plus grande partie des mesures du Plan d'action contre les changements climatiques (PACC) 2013-2020 ont été lancées. Il y a généralement un délai d'environ 24 mois entre le moment où un programme est élaboré, lancé et le moment où sont effectuées les dépenses qui y sont reliées, puisqu'une partie des paiements est souvent conditionnelle à l'obtention et à la vérification des résultats attendus. Il est d'ailleurs à noter que le rythme des dépenses a subi une trajectoire similaire à celui vécu lors du déploiement du PACC 2006-2012.

Question: Vous avez annoncé au printemps une importante réforme de la gouvernance du Fonds vert. En quoi cette réforme touchera-t-elle les problèmes soulevés par les fonctionnaires ?

Réponse: La réforme en profondeur de la gestion du Fonds vert se base sur les trois grands principes de gouvernance que sont la rigueur, la transparence et la reddition de comptes. Le Conseil de gestion du Fonds vert aura pour mission d'encadrer la gouvernance de Fonds vert et d'assurer la coordination de sa gestion dans une perspective de développement durable, d'efficacité, d'efficience et de transparence. Il privilégiera une gestion par projets, axée sur les meilleurs résultats à obtenir pour le respect des principes, des orientations et des objectifs gouvernementaux. La nouvelle gouvernance du Fonds vert intégrera une reddition de comptes plus complète et une communication centralisée, en plus d'assurer une plus grande cohérence et une plus grande coordination des projets soutenus par les différents ministères.

Question: Le premier ministre fédéral Justin Trudeau a récemment évoqué l'idée d'imposer une taxe nationale sur le carbone. Vu les difficultés du Fonds vert, ne serait-il pas plus simple d'adopter la formule proposée par Ottawa ?

Réponse: La tarification carbone, qu'elle prenne la forme d'un Système de plafonnement de droit et d'échange (SPEDE) ou d'une taxe, génère des revenus qui peuvent être réinvestis de différentes façons. La forme que peut prendre une tarification carbone n'a pas d'incidence et n'est pas en lien avec la question de la façon dont les sommes générées par cette dernière sont gérées et dépensées. Le Québec a fait le choix de réinvestir les revenus de son marché du carbone dans des mesures de lutte contre les changements climatiques. Ces sommes sont gérées via le Fonds vert. La réduction de GES pour le Québec repose sur une approche intégrée qui inclut un SPEDE. Cette approche garantit l'atteinte de la cible ambitieuse prise par le Québec dans l'espace régional créé par le marché du carbone actuellement lié avec la Californie, ce que ne peut garantir une taxe.