«C'est désolant», regrette Armando devant la scène éteinte de son cirque, tandis que sept tigres du Bengale paressent dans leurs cages, dans l'attente d'un nouvel endroit pour les accueillir.

Comme beaucoup d'autres, le cirque des frères Cedeño ne peut plus exhiber de félins, d'ours ou encore de dromadaires dans ses spectacles après l'entrée en vigueur mercredi, au Mexique, d'une loi interdisant l'utilisation d'animaux sauvages dans les cirques.

«Jamais je n'aurais imaginé que ça se terminerait ainsi», soupire Junior, dompteur de tigres au sein de ce cirque ambulant. «Je pensais plutôt terminer un jour mangé par l'un d'eux.»

Moustache, l'un des félins, regarde fixement les six kilos de poulet qui se trouvent dans sa cage de deux mètres sur deux, tandis que Samouraï, yeux émeraude et attitude indolente, se lèche les pattes.

Ces animaux vont subir un choc, craint le dresseur, car «ils sont habitués aux gens, à la musique et aux applaudissements». Il ignore dans quel nouveau lieu de captivité ils seront envoyés. Quant à lui, il ne sait pas quel métier il exercera désormais.

Environ 200 cirques utilisent actuellement des animaux sauvages au Mexique, selon le ministère de l'Environnement. En 2014, près de 1100 animaux sauvages ont été déclarés aux autorités, mais seulement 511 en 2015.

Selon Armando Cedeño, propriétaire de ce cirque familial et président du syndicat national, il y aurait en réalité «environ 4000 animaux» concernés.

Plus de 70 cirques ont déjà fait faillite, ce qui a entraîné la perte de 2000 emplois, estime-t-il.

Caressant l'un de ses tigres, il explique que le gouvernement n'a pas tenu ses promesses de proposer des lieux de placement pour ces animaux après l'entrée en vigueur de la loi, que ce soit des zoos, des fondations ou même des résidences de particuliers.

Les cirques peuvent conserver les animaux à condition de ne plus les faire apparaître en spectacle, de prouver qu'ils sont en «bonne santé» et de fournir la preuve de leur acquisition légale. Des exigences que beaucoup ne parviennent pas à respecter.

À défaut, les autorités peuvent désormais confisquer ces animaux et infliger des amendes supérieures à 250 000 $, explique Guillermo Haro, juge en matière de protection de l'environnement.

Une loi «discriminatoire»

Le Parti vert écologiste, allié au parti au pouvoir, est à l'origine de cette loi qu'il a soutenue à l'aide d'une campagne médiatique dénonçant les mauvais traitements envers les animaux.

L'an dernier, un cirque de l'État du Yucatán avait ainsi reçu une amende de 50 000 $ pour avoir retiré la mâchoire inférieure d'un ours.

Le Parti vert estime que ce texte «crée un précédent en termes de respect et de protection des animaux». Pour Leonora Esquivel, cofondatrice de l'ONG AnimaNaturalis au Mexique, il s'agit toutefois d'une loi incomplète, car elle ne pénalise pas les combats de coqs, les corridas et les spectacles avec des mammifères marins.

Selon elle, le Mexique doit maintenant mettre en place un nouveau modèle pour transformer les zoos en «centres de réhabilitation d'animaux».

Ruben Escamilla, un avocat du Parti de la révolution démocratique, dénonce pour sa part «une violation flagrante de la propriété privée» dans la mesure où la nouvelle loi ne s'est accompagnée d'aucune compensation financière.

De son côté, la famille Cedeño a d'ores et déjà annoncé qu'elle déposerait des recours en justice pour s'opposer à un texte «discriminatoire», reposant sur de la «propagande».

La dernière représentation

Lundi soir avait lieu la dernière représentation du cirque des frères Cedeño avec des numéros impliquant des animaux sauvages, dans la banlieue de Mexico.

«N'emportez pas les animaux!», a crié le public après avoir vu les tigres former une pyramide puis sauter à travers un arc de feu.

Les employés étaient émus et inquiets à l'issue de la représentation.

«C'est vraiment triste», confie Cedeño, les bottes couvertes de boue, sur un terrain vague, alors que des employés démontent le chapiteau. «Continuez de venir au cirque, ne nous laissez pas mourir», dit-il avant de s'enfermer dans sa caravane.