Le projet de pipeline ne suscite pas uniquement la grogne. Suffit de se balader autour de la raffinerie Jean-Gaulin de Lévis pour s'en rendre compte.

«Ça serait un excellent projet! Au lieu de dépendre du pétrole qui vient d'ailleurs dans le monde, ça serait plus intelligent de puiser à même nos propres ressources», croit Jacques Turmel, un des employés de la raffinerie.

À l'heure actuelle, il n'existe toutefois aucune entente commerciale entre la raffinerie de Lévis et TransCanada entourant le projet d'oléoduc de l'Est, souligne la directrice des affaires publiques et gouvernementales chez Valero, Julie Cusson.

«Mais dans son document déposé [à l'Office national de l'énergie], TransCanada prévoit brancher la raffinerie au pipeline advenant une entente», mentionne Mme Cusson.

«Ça va créer des emplois directs et indirects et ça va juste être bon pour l'ensemble de l'économie, estime Mario, un autre employé de Valero. Je suis conscient des impacts sur l'environnement, mais est-ce pire qu'un déraillement de train?», demande-t-il.

Pour Martin, autre employé, les militants environnementaux manipulent la population en démonisant le projet. «La raffinerie est un poumon économique dans la région et le fait de diversifier nos sources d'approvisionnement ne peut pas nuire», résume ce travailleur, convaincu qu'il est possible de travailler dans le pétrole sans compromettre l'environnement.

Un deuxième pipeline dans sa cour

Pour Éric Boutin, l'histoire est en train de se répéter. Il risque de se retrouver avec deux pipelines sur son terrain si le projet d'Oléoduc Énergie Est va de l'avant.

L'entreprise Ultramar utilise en effet depuis deux ans une portion du terrain de ce producteur laitier de Saint-Jean-Chrysostome pour acheminer son pétrole entre la raffinerie Valero de Lévis et celle de Montréal.

Les immenses terres de 750 acres de M. Boutin abritent aussi 21 pylônes d'Hydro-Québec et deux chemins de fer.

L'homme de 46 ans admet candidement se sentir impuissant devant la présence de ces géants sur ses terres de blé, de maïs et de soya. «En plus, je ne suis pas vraiment contre les pipelines, tant mieux si l'État et les villes ramassent des millions avec ça! Mais j'en ai contre le peu que ça me rapporte», explique le fermier.

Déjà qu'il déplore la façon cavalière avec laquelle on lui a «vendu» le premier pipeline. «On m'a proposé 22 000$ pour l'achat d'une portion de mes terres. Moi je réclamais 50 000$. J'ai finalement reçu une lettre d'un huissier affirmant que si je refusais l'offre, je serais exproprié en vertu d'un règlement provincial», raconte Éric Boutin, qui n'a pas eu le choix d'accepter. «C'est une bonne somme, mais du petit change pour une compagnie comme Ultramar.»

Les travaux pour installer le premier pipeline ont eu lieu l'hiver. Un long couloir, large de 23 m, a été déboisé au fond de ses terres. Tout ça pour un pipeline de 16 po de diamètres. Quelques tuyaux de plastique jonchent encore le sol boueux.

Le producteur laitier précise cependant que les travaux ont été faits selon les règles de l'art et que les lieux ont été remis exactement comme avant. Sans les arbres, évidemment.

Pour le pipeline de TransCanada, il n'a pas encore été question de compensation. L'entreprise lui a simplement remis 1000$ pour obtenir la permission de faire des études sur son terrain.

Éric Boutin s'attend néanmoins à plus de désagréments. L'entreprise projette d'enfouir son pipeline le long de ses champs, ce qui risque de compromettre ses récoltes durant la période des travaux. «Je n'ai pas pu refuser le premier pipeline et je ne pense pas pouvoir empêcher le deuxième non plus», résume M. Boutin, qui n'a pas non plus envie de pelleter le problème chez le voisin. «À la limite, j'étais content au premier pipeline. J'avais l'impression de faire ma part pour la société, de faire travailler du monde. Mais là, j'ai l'impression d'en faire beaucoup.

«Ils te foutent un projet dans les dents, alors que tu n'as jamais rien demandé. Ils t'offrent une redevance ridicule. Ça ne vaut pas la peine», peste M. Boutin, amer à l'idée de laisser cet héritage à son fils qui songe à prendre la relève.

TransCanada devait réagir aux opinions formulées dans ce reportage, mais n'a finalement pas donné suite à notre demande hier soir.