Les experts d'Environnement Canada recommandent que soient protégés intégralement les neuf derniers habitats de la rainette faux-grillon, une espèce de grenouille, en Montérégie, dont celui de La Prairie. C'est ce qui ressort d'un rapport secret préparé par des scientifiques fédéraux, que La Presse a obtenu en exclusivité.

Pendant ce temps, les travaux de construction d'un complexe immobilier appelé le Domaine de la nature, qui menace cette espèce en péril, vont bon train dans cette municipalité.

L'analyse d'une quinzaine de pages, rédigée en décembre dernier, conclut que, en vertu de la Loi fédérale sur les espèces en péril, seul un décret d'urgence pouvait être envisagé à La Prairie pour protéger la rainette faux-grillon. Cette analyse faisait justement suite à une demande de décret d'urgence en ce sens déposée à Ottawa par Nature Québec en 2013. Le document conclut aussi que le ministère québécois de l'Environnement admet que la Ville n'a pas respecté des conditions d'un certificat d'autorisation délivré en 2007.

Rappelons que, après avoir proposé à la ministre Leona Aglukkaq de recommander un décret d'urgence, le sous-ministre fédéral de l'Environnement, Bob Nicholson, a changé d'idée et a plutôt suggéré, au printemps dernier, de faire parvenir aux demandeurs du décret une lettre indiquant que le projet de lotissement immobilier ne menace pas la survie de la minuscule grenouille ailleurs au Québec et en Ontario. Selon l'information recueillie par La Presse, il n'y a pas d'autre analyse dans ce dossier permettant de ne pas recommander de décret d'urgence.

Nature Québec et le Centre québécois du droit de l'environnement (CQDE) ont porté le dossier devant la Cour fédérale, où ils contestent le refus de la ministre Aglukkaq. Selon le document, qui vient d'être déposé en Cour fédérale, les experts, tant à Québec qu'à Ottawa, estiment que «les objectifs de rétablissement de l'espèce devraient inclure le maintien des neuf populations de rainettes faux-grillons en Montérégie». L'analyse précise que la population du bois de la Commune, à La Prairie, est l'une des plus importantes des neuf restantes. La rainette a perdu 90 % de son habitat au Québec depuis 60 ans.

Les experts d'Environnement Canada affirment qu'il n'existe probablement pas au Canada de menace aussi importante que «celle qui pourrait mener à la disparition complète d'une population de cette espèce comme dans le cas de La Prairie».

Ottawa critique Québec

Le rapport d'Environnement Canada fait état de deux rencontres, en juin 2013, entre des fonctionnaires fédéraux et provinciaux. Les représentants du Québec ont reconnu que la Ville de La Prairie n'avait pas respecté toutes les conditions d'un certificat d'autorisation délivré en 2007 pour le projet du Domaine de la nature. Des travaux illégaux ont alors entraîné la disparition de plusieurs étangs de reproduction.

Comme l'a rapporté La Presse il y a quelques semaines, Environnement Canada critique aussi l'inaction du gouvernement provincial dans ce dossier. Selon l'analyse des fonctionnaires fédéraux, le ministre de l'Environnement du Québec pourrait révoquer les certificats d'autorisation accordés à la Ville de La Prairie en se fondant sur l'article 115.10 de la Loi sur la qualité de l'environnement ou encore sur l'article 19 de la Loi sur la conservation du patrimoine naturel.

Depuis 20 ans, l'étalement urbain a détruit plus de la moitié des habitats de la rainette à La Prairie. L'analyse des fonctionnaires conclut que le projet du Domaine de la nature va maintenant recouvrir «entièrement» les habitats restants dans une «zone hautement prioritaire» pour cette population.

De plus, le parc de conservation prévu par la ville au coût de 5,2 millions de dollars ne permettra pas d'assurer la survie de l'espèce, concluent les experts d'Environnement Canada. Le ministère québécois de l'Environnement reconnaît d'ailleurs que moins de 15 % de l'habitat de la rainette sera sauvegardé grâce au parc, ce qui inclut des étangs artificiels qui devront être aménagés par la ville. Mais la technique est contestée et n'a pas fait ses preuves, estiment plusieurs experts consultés par La Presse.

Des travaux «tolérés»

Les fonctionnaires qui ont rédigé l'analyse d'Environnement Canada estiment que la loi fédérale sur les oiseaux migrateurs pourrait permettre indirectement de protéger la rainette et de retarder les travaux, qui ont commencé au début du mois de juillet. Cependant, après être intervenu à La Prairie au début du mois pour interrompre des travaux de déboisement qui pouvaient contrevenir à cette loi fédérale, le secteur Faune à Environnement Canada dit maintenant «tolérer» ces travaux et renvoie dorénavant le dossier aux autorités municipales et provinciales, a appris La Presse.