L'agrile du frêne, petit insecte aux reflets verts venu d'Asie, a déjà tué des dizaines de millions d'arbres en Amérique du Nord depuis son apparition dans la région de Detroit, en 2002. Mais, par ricochet, il tuerait aussi des humains, selon une récente étude américaine. Et le danger est encore plus grand dans les quartiers aisés. Une raison de plus, selon les experts, de lutter contre cet envahisseur. De quoi alimenter les débats au Sommet montréalais sur l'agrile du frêne, qui aura lieu lundi.

À Detroit, à Chicago et dans des centaines de villes du Midwest américain, la scène s'est répétée pendant des années. Des rues entières ont perdu d'un coup leur couvert forestier, parfois composé entièrement de frênes.

L'agrile du frêne, un insecte asiatique, est apparu à Detroit en 2002. Il a probablement été introduit accidentellement dans du bois ayant servi au transport de marchandises.

Dans la décennie qui a suivi, l'insecte a infecté des dizaines de millions d'arbres.

La tronçonneuse a été la première riposte à l'invasion. Mais une fois les frênes disparus, les humains se sont mis à souffrir.

C'est la conclusion surprenante d'une recherche du gouvernement des États-Unis, publiée l'an dernier dans l'American Journal of Preventive Medicine.

L'étude a établi une corrélation entre l'apparition de l'agrile et la hausse des décès attribuables aux maladies cardiaques et respiratoires.

En moyenne, on a observé 23,5 décès de plus par 100 000 habitants après l'apparition de l'agrile.

Tout en causant un désastre, l'insecte a fourni une occasion unique d'étudier l'importance des arbres urbains pour la santé, explique l'auteur de l'étude, l'économiste Geoffrey Donovan, du laboratoire fédéral de sciences forestières de Portland, en Oregon.

«Le problème que l'on a habituellement, c'est que les changements dans l'environnement naturel sont très lents, alors il est difficile, par exemple, de mesurer les bienfaits d'une augmentation du couvert forestier», a expliqué M. Donovan en entrevue avec La Presse.

«Avec l'agrile, on a un insecte qui s'attaque aux 23 espèces de frêne d'Amérique du Nord, qui les tue rapidement et qui n'a pas d'ennemi naturel sur le continent.»

Les quartiers riches touchés davantage

Une corrélation ne prouve toutefois pas un lien de cause à effet.

Les études comme celle de M. Donovan sont parsemées de pièges. En effet, comment distinguer l'impact des arbres de celui d'autres facteurs comme le revenu ou l'âge?

Mais dans ce cas, le signal est encore plus clair: l'impact de l'agrile augmente avec le niveau social. Ainsi, plus un quartier est riche, plus la hausse de la mortalité a été importante.

Et cela, parce que ces quartiers sont généralement plus boisés. Ils ont donc souffert davantage.

Les arbres sauvent donc des vies, doit-on conclure.

Ce n'est pas si surprenant que cela, selon M. Donovan. «L'idée que les arbres et la santé sont reliés est aussi vieille que l'humanité, dit-il. On parle de l'arbre de vie.»

Au cours des dernières années, la science a établi plusieurs bienfaits des arbres.

«Quand les gens sont dans un environnement naturel, leurs marqueurs de stress diminuent, dit-il. On sait aussi que les arbres améliorent la qualité de l'air et diminuent l'effet de l'îlot de chaleur urbain.»

«Il y a aussi des bienfaits pour la consommation d'énergie, pour la climatisation, pour la gestion des eaux pluviales, pour la valeur des propriétés», ajoute l'économiste.

Un désastre d'origine humaine

Daniel Kneeshaw, professeur d'écologie forestière à l'Université du Québec à Montréal, n'est pas surpris de l'impact indirect de l'agrile sur la santé humaine.

Il avait lui-même proposé une recherche sur ce sujet en 2009, mais il n'a pas obtenu de financement.

«Il y a un des commentateurs qui avait répondu: «Il n'y aura jamais d'impact sur la santé humaine», dit-il. Alors on a bien ri quand on a vu la recherche américaine.»

Il ajoute que l'impact de l'agrile est décuplé par le fait qu'on a trop planté de frênes en ville.

«Quand j'ai déménagé à Montréal, dans les années 80, j'ai dit à un conseiller municipal que ça n'avait pas d'allure d'avoir des monocultures dans des quartiers entiers, d'avoir des frênes [..] rue après rue.»

Pourtant, souligne-t-il, c'est souvent pour remplacer des ormes, une autre espèce décimée par un parasite étranger, qu'on a planté tous ces frênes.

Et il y a d'autres menaces qui pointent à l'horizon. «Aujourd'hui, c'est l'agrile du frêne; avant, c'était la maladie hollandaise de l'orme, et bientôt, le longicorne asiatique, qui est partout autour, en Ontario, à Halifax. Il s'attaque à l'érable.»

Faire le bon calcul

Kim Marineau, de l'Association des biologistes du Québec, s'inquiète depuis longtemps de l'arrivée de l'agrile dans la région de Montréal.

«Dans mon quartier, à Rosemont, ça fait deux ans que je vois que ça dépérit, dit-elle. Et on voit que les villes n'ont pas le budget pour faire face à cette situation.»

Elle craint que les autorités ne fassent le mauvais calcul et ne tiennent pas compte des bienfaits des arbres.

«On va abattre parce qu'on n'a pas les moyens de traiter, alors que traiter, c'est 100$ chaque année, et que l'abattage coûte 1000$.

«Un arbre attaqué, on peut le sauver, mais à un moment donné, ça devient irréversible. On a cette année et l'an prochain pour intervenir, après ce sera l'abattage massif.»

Les frênes à Montréal

1,2 million

Nombre d'arbres sur le domaine public

200 000

Nombre de frênes, soit 16 %

48 494

Nombre de frênes en bordure de rue

50 000

Nombre de frênes dans les parcs et boisés, dont 26 000 au parc du Mont-Royal

PHOTO FOURNIE PAR L'AGENCE CANADIENNE D'INSPECTION DES ALIMENTS

L'agrile du frêne, un insecte asiatique, est apparu à Detroit en 2002. Il a probablement été introduit accidentellement dans du bois ayant servi au transport de marchandises.

Un traitement qui freine la maladie

De plus en plus de villes du Midwest choisissent maintenant de traiter au moins une partie de leurs frênes avec un insecticide extrait des graines d'un arbre appelé margousier. Le produit est injecté sous l'écorce et est efficace pendant deux ans, explique Phil Marshall, entomologiste en chef au département des Ressources naturelles de l'Indiana. Il a conçu un calculateur qui permet aux villes de planifier cette opération. «Il y a huit ou dix ans, on essayait de l'éradiquer, mais cela a échoué, dit-il. Maintenant, on fait de la surveillance, de l'éducation, et on gère l'invasion. Dans les villes, cela veut dire faire un inventaire. Ensuite, il faut décider ce qu'on veut faire, par exemple protéger la moitié des arbres pendant au moins 10 ans. On parle de 1000$ par arbre environ sur 10 ans.»