Les filets installés au large des plages du KwaZulu-Natal, sur la côte est de l'Afrique du Sud, ont largement mis fin aux attaques des requins depuis soixante ans, mais leur utilité est remise en cause, d'autant qu'ils tuent plusieurs centaines d'animaux marins tous les ans.

Dans la banlieue de Durban, métropole touristique de la région, les visiteurs sont invités à tâter du requin au KwaZulu-Natal Sharks Board, l'organisme public chargé des filets.

«Vous êtes les bienvenus pour l'enlacer, l'embrasser, faire tout ce que vous voulez!», lance à la plus grande joie des enfants la conférencière Trinity après qu'un malheureux squale pris quelques semaines plus tôt eut été disséqué sous leurs yeux.

«Un requin peut sentir le sang à 1 km de distance. (...) Ne nagez jamais seul!» Frisson dans l'assistance, qui a déjà vu dans le musée attenant tout un lot de planches de surf et de carapaces de tortues marines entamées par les dents de la mer.

Pourtant, il n'y a pas eu d'attaque sérieuse depuis des années.

«Moins il y a de requins autour de la zone de baignade, moins il y a de chances qu'il y ait une attaque. Et pour réduire le risque (...), nous mettons ces filets, qui en gros pêchent les requins», explique Geremy Cliff, le responsable de la recherche.

«En fait, une attaque de requin est quelque chose de très exceptionnel. C'est un événement très, très rare. Vu qu'il s'agit d'un événement très rare et que nous capturons ces animaux, nous réduisons la probabilité d'une attaque à quasiment zéro», ajoute-t-il.

Contrairement à ce que croient de nombreux baigneurs, les filets ne forment pas une ligne continue le long des 320 kms de côtes protégés. Il s'agit le plus souvent de filets parallèles --de 214 m sur 6 m chacun-- fixés à 400 m de la plage face à 37 stations balnéaires de la région, là où l'eau est profonde de 10 à 14 m.

«Les requins peuvent contourner les filets», reconnaît M. Cliff. Il y en a donc qui se promènent près des plages. Et une partie d'entre eux sont pris au piège à l'intérieur, quand ils veulent regagner le large.

Et c'est là que le bât blesse: les filets capturent plus de 500 requins tous les ans, et neuf sur dix ne survivent pas. En outre, des dizaines de dauphins, de tortues et de raies en sont les innocentes victimes collatérales.

«Nous ne voulons pas tuer les requins, mais c'est le dilemme auquel nous sommes confrontés: nous sommes mandatés pour protéger la population», note Betty Hargreaves, responsable des programmes éducatifs du Sharks Board.

L'agence a fait des efforts, en réduisant de moitié la longueur cumulée des filets, de 44 à 23 km, et a introduit un nouveau modèle de lignes faites d'un grand hameçon appâté accroché à un flotteur, qui ne piège que les requins.

Réduire la voilure n'a pas pour autant rendu les plages plus dangereuses pour les baigneurs. Mais des défenseurs de l'environnement estiment que c'est encore trop et qu'il faut carrément tout enlever. D'autant qu'il n'y a pas plus d'attaques sur les plages non protégées... dont la plupart étaient laissées aux non-Blancs du temps de l'apartheid.

«Il y a soixante ans, on pêchait à la dynamite. Durban était une importante station baleinière. On rejetait dans l'eau d'énormes quantités de viande, des milliers de requins venaient, et ce qui est fou, c'est que les gens nageaient juste à côté», raconte Mark Adisson, le chef de file des opposants aux filets.

Depuis, la chasse à la baleine a disparu, l'écosystème a changé, la température de l'océan Indien a baissé, les fleuves apportent moins d'eau douce, il y a moins de poissons à proximité immédiate des côtes... Autant de raisons qui font que les requins s'approchent moins, explique M. Adisson, qui fait plonger des touristes à la rencontre des squales depuis une petite plage au sud de Durban.

«Le Sharks Board vend de la peur» pour justifier sa propre existence, soupire-t-il, reconnaissant volontiers qu'il y aura toujours quelques morsures ici ou là. Et de citer la Floride, grande destination touristique où les autorités ont préféré laisser les requins tranquilles.

En outre, accuse Mark Adisson, certains employés de l'agence publique arrondissent leurs fins de mois en vendant sous le manteau des mâchoires ou des dents, un commerce théoriquement interdit. Le tiers des requins victimes des filets seraient ainsi discrètement rejetés en mer avant d'être comptabilisés, selon lui.

Au KwaZulu-Natal Sharks Board Geremy Cliff réagit sèchement, parlant de «rumeurs»: «Il n'y a absolument aucune preuve de ça!»