L'inversion du pipeline d'Enbridge vers Montréal risque d'entraîner une hausse de la pollution atmosphérique des raffineries québécoises. Cet avertissement ne vient pas des autorités fédérales ou provinciales, mais bien de l'État du Vermont.

Le ministère de la Conservation et de l'Environnement craint que l'arrivée dans les raffineries québécoises de 300 000 barils de pétrole albertain par jour pourrait nuire à la qualité de l'air dans «l'État des montagnes vertes».

Le commissaire David K. Mears affirme que les raffineries de Montréal (Suncor) et de Lévis (Ultramar) pourraient augmenter leur production grâce à ce nouvel apport en pétrole. Et si Enbridge achemine du brut lourd dérivé des sables bitumineux, ces établissements deviendraient plus polluants.

«Si le pipeline proposé entraîne une hausse de la production dans les raffineries québécoises et si le brut lourd qui y est traité a une teneur en soufre plus élevée, il y aura potentiellement des hausses de concentrations de dioxyde de soufre, de composés organiques toxiques et d'autres résidus de raffinage sous le vent», a écrit le

commissaire dans une lettre à l'Office national de l'énergie (ONE).

M. Mears a demandé à l'organisme fédéral qui mène des audiences publiques sur le projet Enbridge d'élargir son étude afin de tenir compte de la pollution indirecte que le pipeline engendrera.

L'ONE a rejeté cette demande au motif que «les effets associés aux activités de raffinage relèvent de la compétence d'autres organismes de réglementation».

En entrevue, M. Mears affirme que cette décision «n'est pas entièrement satisfaisante», à ses yeux.

«Nous croyons que les questions que nous soulevons sont légitimes, a-t-il dit. Nous ne disons pas que nous sommes opposés au projet. Mais le public canadien et américain a le droit de comprendre quels sont les impacts possibles de l'inversion de ce pipeline, s'il est approuvé.»

Pas d'impact, dit Ultramar

Ultramar affirme que l'inversion du pipeline d'Enbridge n'entraînera pas une hausse des émissions polluantes dans sa raffinerie de Lévis. L'établissement s'approvisionne en pétrole léger et il n'est pas équipé pour traiter du lourd.

Si le projet Enbridge se concrétise, la raffinerie pourrait traiter des pétroles légers du Canada et du nord des États-Unis, ainsi que du brut synthétique dérivé des sables bitumineux. Mais aucune de ces trois options n'entraînera une hausse des rejets polluants.

«Au pire, nos émissions seraient similaires à ce qu'elles sont aujourd'hui», résume le porte-parole d'Ultramar, Michel Martin.

Suncor, propriétaire de l'autre raffinerie à Montréal-Est, a annulé en 2009 un projet de 1 milliard qui aurait permis à cet établissement de transformer du brut lourd des sables bitumineux. L'entreprise a récemment évoqué la possibilité de raviver ce projet.

La Presse a invité Suncor à commenter les préoccupations de l'État du Vermont, mais n'avait pas obtenu de réponse au moment de mettre en ligne.

Mobilisation

Les écologistes au sud de la frontière se mobilisent contre l'inversion du pipeline d'Enbridge. On craint en outre que le projet entraîne l'inversion d'un autre pipeline, celui-là entre Portland et Montréal. Ça ferait en sorte que du brut albertain serait transporté à travers le Vermont, le New Hampshire et le Maine.

Plusieurs municipalités en Nouvelle-Angleterre ont adopté des résolutions pour s'opposer à cette possibilité.

Jim Murphy, porte-parole de la National Wildlife Federation, affirme que la décision imminente de Barack Obama sur l'avenir du pipeline Keystone XL et le déversement de brut canadien dans la rivière Kalamazoo, au Michigan, ont braqué les projecteurs sur l'industrie canadienne des sables bitumineux.

«Ces deux événements ont changé la donne dans le débat sur les pipelines des sables bitumineux, constate M. Murphy. Le public est beaucoup plus conscient des risques que posent les sables bitumineux quant au transport du pétrole et aux changements climatiques.»