Algues bleues, bélugas toxiques: la hache est tombée, au cours des derniers jours, sur des laboratoires de Pêches et Océans Canada qui ont permis par le passé de comprendre plusieurs problèmes environnementaux.

À Rimouski, l'Institut Maurice-Lamontagne, grand centre de recherche fédéral en océanographie, supprime 8 des 11 postes de son équipe d'écotoxicologie. Ces chercheurs s'intéressent en particulier à l'impact des produits chimiques et pétroliers sur les organismes marins. Une expertise précieuse alors que les projets de forage se multiplient en Arctique et dans le golfe du Saint-Laurent.

En Ontario, Pêches et Océans Canada annonce la fermeture de l'Experimental Lakes Area. C'est là où on a compris pour la première fois le processus de vieillissement des lacs, qui peut provoquer l'éclosion d'algues bleues.

Unique au monde, ce vaste laboratoire en plein air composé de 58 lacs avait été fondé par le réputé biologiste David Schindler. Ce dernier est devenu depuis professeur à l'Université d'Alberta et l'un des plus grands pourfendeurs de l'industrie des sables bitumineux.

Pas un hasard

Le démantèlement du laboratoire de l'IML à Rimouski n'est pas un hasard, affirme la biologiste Lyne Morissette, coresponsable de la chaire UNESCO en analyse intégrée des systèmes marins à l'Université du Québec à Rimouski (UQAR).

Elle accuse le premier ministre Stephen Harper de cibler les voix discordantes et les informations défavorables à l'industrie des hydrocarbures.

«Ce laboratoire est un des joyaux de la recherche scientifique en sciences de la mer au Canada, dit-elle. Il fournissait des informations scientifiques qui étaient cruciales, mais qui ne faisaient probablement pas l'affaire du gouvernement, parce que ce sont des gens qui ont beaucoup travaillé sur l'impact des hydrocarbures.»

«Ce n'est pas un hasard que ces gens-là soient touchés, ajoute Mme Morissette. Les scientifiques sont muselés et on ne veut pas entendre ce qu'ils ont à dire. On se rend compte que lorsque ça ne fait pas l'affaire de Harper, il coupe stratégiquement ceux qui lui nuisent.»

Selon Yvon Brodeur, de l'Institut professionnel de la fonction publique du Canada, section du syndicat des fonctionnaires fédéraux, les coupes sont aussi l'expression d'une volonté de «privatiser et déréglementer». «Les sciences sont un secteur vulnérable à la sous-traitance, dit-il. L'IML a bâti un laboratoire d'expertise en analyse chimique aquatique en 2007. Ça a coûté 2 millions et maintenant, il ne servira plus. C'est ce laboratoire qui établit la preuve légale en cas de déversement pétrolier. Ça prend des gens qui se tiennent debout. On peut privatiser, on peut donner la clé à n'importe qui, mais est-ce qu'on va le regretter dans 5 ans ou 10 ans?»

«C'est la toile d'araignée qui se tisse pour faciliter l'exploitation des hydrocarbures dans le Golfe et ailleurs, dit Sylvain Archambault, de la Coalition Saint-Laurent. Ces gens étudient l'impact des hydrocarbures sur les organismes marins. Et d'un autre côté, on réforme la Loi sur les pêches pour ne plus étudier que les espèces commerciales.»

La Presse a appelé le bureau du ministre fédéral de Pêches et Océans, Keith Ashfield, afin d'avoir des explications sur le choix des cibles des coupes, mais c'est l'équipe de fonctionnaires du Ministère qui a été appelée à donner les réponses. Elle n'a pas été en mesure d'expliquer pourquoi ces deux laboratoires ont été visés.

Une perte pour la science mondiale

La fermeture de l'Experimental Lakes Area (ELA), dans l'ouest de l'Ontario, serait une perte pour la science mondiale. «C'est une très mauvaise décision qui va sérieusement affecter la capacité du Canada et du monde entier à détecter, comprendre et mitiger les pressions qui ont un impact sur l'environnement et notre qualité de vie», a affirmé dans un communiqué James Elser, professeur à l'Arizona State University, qui a réalisé des études à ELA ainsi dans plusieurs autres régions des Amériques. «Il y a très peu d'endroits dans le monde où un scientifique de l'environnement peut manipuler un lac entier tout en ayant accès à des installations analytiques sophistiquées et à un hébergement correct, affirme M. Elser, en entrevue avec La Presse. C'est totalement unique au monde d'avoir ces trois forces réunies au même endroit.»