Il y avait les rats et les mouffettes qui passaient en courant le long des propriétés voisinant la grande décharge publique. Et les cris irritants de nuées de mouettes, qui tournaient en rond au-dessus du «trou» de l'ancienne carrière Miron. Certains jours, l'odeur était si déplaisante qu'elle interdisait toute activité extérieure. En marchant sur la rue, il arrivait parfois que les passants soient subitement pris de nausée en raison des relents d'une traînée de lixiviat qui avait coulé de la benne d'un des camions transportant les ordures de toute l'île de Montréal vers le dépotoir de Saint-Michel.

Près de 12 ans après la fin de l'enfouissement des déchets putrescibles à l'ancienne carrière Miron, ces images de la vie quotidienne autour d'une grande poubelle à ciel ouvert font partie de ce que Denis Sirois appelle la «mémoire sociale» du quartier. Le directeur de la corporation de développement économique et communautaire (CDEC) Centre-Nord, qui a grandi dans le quartier, en parle comme d'un traumatisme collectif.

Un aménagement à faire

L'ancienne carrière a été remplie, et est aujourd'hui un espace public «grand comme le parc du mont Royal» qui reste à aménager, et autour duquel Saint-Michel prévoit construire son avenir. Un avenir qui, jusqu'à l'automne dernier, ne prévoyait pas la construction d'une usine de compostage d'une capacité de 25 000 tonnes par année, en bordure de l'ancienne carrière.

Ce matin, des citoyens et des représentants de nombreux organismes locaux feront connaître, en conférence de presse, «les actions et moyens qui seront entrepris afin que la Ville de Montréal entende haut et fort leur opposition» à ce projet d'usine qui est l'une des composantes essentielles du plan de gestion des matières résiduelles adopté par la Ville et par toutes les municipalités de l'île de Montréal.

«Ce n'est pas juste un réflexe du type pas dans ma cour, se défend M. Sirois. C'est une question de justice sociale. Dans Saint-Michel, la cour est pleine. Ça a pris 30 ans pour la remplir. Et maintenant qu'elle est pleine, et qu'on se bat depuis 10 ans pour revaloriser ce secteur, on nous ramène les déchets.»

«Ça ne passera pas, affirme-t-il. Dans aucun milieu. Les entreprises, les commerces, les institutions, personne, dans Saint-Michel, ne veut revenir en arrière».

Équité territoriale

Le plan de traitement des déchets organiques des municipalités de l'île de Montréal prévoit que 60% de ces matières résiduelles produites sur le territoire seront revalorisées, à compter de 2020. Pour ce faire, Montréal et les «villes liées» prévoient la construction de quatre installations d'envergure industrielles, réparties aux quatre points cardinaux de l'île. Le plan vise à assurer une «équité territoriale», afin de partager le fardeau des impacts sur l'ensemble du territoire.

À l'est et au sud, deux usines de biométhanisation transformeront les restes de table et autres résidus organiques en un gaz (méthane) qui pourra être utilisé comme une source d'énergie, à Montréal-Est et dans l'arrondissement LaSalle.

À l'ouest et au nord, des centres de compostage ont été prévus dans la municipalité de Dorval, près de l'aéroport Trudeau, et au Centre environnemental de Saint-Michel (CESM), en bordure de l'ancienne carrière Miron.

Ce bâtiment serait construit dans l'axe de la rue Papineau, au nord de la rue Jarry et de l'autoroute Métropolitaine, derrière le bâtiment administratif actuel du CESM.

Le péril aviaire

Soumis à la consultation publique, l'automne dernier, le plan a sérieusement déraillé quand Aéroports de Montréal (ADM) a informé les responsables de la Ville de Montréal, que l'emplacement visé par l'usine de compostage de Dorval était inadéquat. L'organisme fédéral qui gère l'aéroport international Trudeau et les propriétés qui l'entourent craint que l'usine de compostage n'attire quantité d'oiseaux, dont la présence en grand nombre, à proximité des pistes de décollage, représente un risque pour la sécurité du trafic aérien.

Les engagements de la Ville selon lesquels toutes les opérations de ces centres se feront à l'intérieur de bâtiments fermés maintenus sous pression négative n'ont eu aucun effet sur la décision d'ADM, ni sur l'opposition des résidants de Saint-Michel, assure M. Sirois.

Le refus d'ADM d'accueillir un centre de compostage dans l'Ouest, annoncé en pleine séance de consultations publiques, le 30 novembre dernier, n'a fait qu'amplifier la méfiance des résidents et des organismes de Saint-Michel qui craignent maintenant d'ouvrir la porte à la seule usine de compostage de l'île.