Une nouvelle étude néo-écossaise affirme que les phoques sont responsables de la baisse persistante des stocks de morue dans l'est du Canada. Ses auteurs ne vont pas jusqu'à recommander un abattage massif de phoques, comme l'a préconisé un rapport gouvernemental l'automne dernier, mais ils ont néanmoins suscité une levée de boucliers, tant de la part de collègues que d'environnementalistes.

«Nous avons réanalysé les données utilisées par d'autres études et conclu que les phoques mangent beaucoup plus de morue que prévu», affirme Robert O'Boyle, qui signe avec Michael Sinclair l'étude publiée par la revue Fisheries Research. «Nous avons notamment utilisé des données d'autres pays sur l'alimentation des phoques, ce que personne d'autre n'avait fait.»

L'étude souligne que le nombre de phoques dans les eaux côtières canadiennes n'a jamais été aussi élevé depuis le début du XIXe siècle. Par contre, l'augmentation des stocks de morue observée dans les dernières années montre que la thèse de M. O'Boyle n'est pas encore prouvée.

«Nous attendons les données de 2012 sur les stocks de morue pour être sûrs de notre thèse», dit M. O'Boyle, qui dirigeait jusqu'à tout récemment le centre de recherche Bedford du ministère fédéral des Pêches et des Océans, où M. Sinclair lui a succédé. «La reprise des stocks semble avoir cessé l'an dernier.»

Les stocks de morue se sont effondrés au début des années 90 et ne se sont pas reconstitués, malgré un moratoire sur les pêches.

Les principales innovations de l'étude concernent les hypothèses sur le régime alimentaire des phoques. «Nous n'avons pas utilisé une nouvelle méthode d'analyse des acides gras des phoques, parce qu'elle est controversée, dit M. O'Boyle. Les études qui l'utilisent concluent que les phoques mangent peu de morue. Nous avons aussi postulé que les autres méthodes, l'étude des estomacs et des selles des phoques sous-estiment la quantité de morue ingérée. Elles déterminent ce que les phoques ont mangé en identifiant les os des ouïes des poissons qui restent. Or, souvent les phoques ne mangent que la panse des morues adultes, parce qu'elles sont trop grosses pour eux.»

Scepticisme

Boris Worm, biologiste marin de l'Université Dalhousie, est sceptique devant les conclusions de M. O'Boyle: «À mon avis, ce sont deux anciens hauts fonctionnaires qui publient des conclusions conformes à leurs convictions. Quand il était patron à Bedford, O'Boyle aurait bien aimé que les scientifiques qu'il dirigeait en arrivent à ces conclusions.» Selon lui, notamment, la méthode des acides gras n'est pas du tout controversée.

M. Worm souligne que, l'été dernier, un ancien employé de Robert O'Boyle a proposé une explication plus convaincante de l'évolution des stocks de morue. «Quand les stocks se sont effondrés, les proies de la morue sont devenues les prédateurs des petites morues, dit M. Worm. Les stocks de ces anciennes proies se sont multipliés par 10 puis se sont à leur tour effondrés. La morue a pu reprendre sa place, ce qui explique la croissance des dernières années. Cette étude a été publiée dans Nature, une revue autrement plus prestigieuse que Fisheries Research.»

Cela dit, M. Worm a lui aussi recours à des hypothèses. «Les phoques mangent peu de morues parce que ce sont des poissons trop intelligents, dit-il. Les seules morues qui sont mangées sont celles qui sont vulnérables, par exemple quand elles sont accrochées aux hameçons des pêcheurs. Ça explique pourquoi les pêcheurs ont l'impression que ce sont les phoques qui leur volent la morue.»