L'Arctique est de plus en plus un club privé. Après avoir tenté d'intéresser le reste du monde à son sort, les pays riverains veulent maintenant restreindre les discussions sur la navigation, les pêches et les ressources naturelles.

Voilà l'un des constats du colloque sur l'Arctique qui se tient jusqu'à demain à l'UQAM, dans le cadre des entretiens Jacques-Cartier.

«L'Union européenne, le Japon, la Chine et la Corée du Sud attendent depuis trois ans que le Conseil de l'Arctique leur indique s'ils peuvent avoir un statut d'observateur, explique Heather Exner-Pirot, candidate au doctorat de l'Université de Calgary. Avant, le Conseil admettait tout le monde. La barre était placée très bas: les Pays-Bas et la Pologne ont le statut d'observateur.»

Le conflit de la mer de Barents

Il faut dire que les pays arctiques mettent la main à la pâte. L'an dernier, la Norvège et la Russie ont mis un terme à un différend territorial dans la mer de Barents qui durait depuis plusieurs décennies. Les deux pays tiennent maintenant des exercices militaires communs, indique Katarzyna Zysk, politologue à l'Institut norvégien d'études sur la défense, à Oslo.

«Si la Russie et la Norvège ont réglé leur problème, ça veut dire que tout le monde peut s'entendre, affirme Heather Conlay, politologue au Centre d'études stratégiques et internationales à Washington. Les États-Unis et le Canada ne peuvent plus seulement s'entendre pour être en désaccord, comme l'a répété la semaine dernière la secrétaire d'État Hillary Clinton à propos du différend frontalier dans la mer de Beaufort. Il faut que le comité technique qui travaille sur la question finalise son rapport.»

L'autre pomme de discorde entre les États-Unis et le Canada est la volonté canadienne de régir la navigation dans le passage du Nord-Ouest, qui serpente dans l'archipel canadien arctique. Les États-Unis veulent que ce soit un détroit international comme ceux du Bosphore, en Turquie, ou de Malacca, en Asie du Sud-Est. «Sur ce point, le Canada n'a pas vraiment d'alliés», dit Mme Conlay.

L'Arctique pourrait d'ailleurs être moins intéressant que prévu, compte tenu des révolutions que constituent les sables bitumineux et le gaz de schiste, qui dépriment les prix des hydrocarbures, particulièrement en Amérique du Nord, selon Charles Emmerson, politologue au groupe de réflexion Chatham House, de Londres. «On a très peu d'informations sur les ressources sous-marines en Arctique. La plupart des forages ont été faits dans la Sibérie occidentale et en Alaska, sur la terre ferme. Tout ce que l'on sait, c'est que l'exploitation va être coûteuse.»

Un tunnel vers l'Alaska

La Russie veut construire le tunnel sous-marin le plus long du monde pour alimenter l'Amérique du Nord en hydrocarbures. La Douma, le Parlement russe, a adopté un projet de loi en ce sens à la fin de l'été. Le coût du tunnel de 100 km vers l'Alaska pourrait atteindre 100 milliards, six fois plus en dollars constants que le tunnel sous la Manche, qui est moitié moins long. Le transsibérien, qui est en voie d'expansion vers le Pacifique, pourrait aussi y transiter. Le site internet canadien Eye on the Arctic relève toutefois que la côte ouest américaine est bien desservie en pétrole grâce aux sables bitumineux albertains, et que le projet russe prévoit une participation plutôt improbable du gouvernement américain.