Une légère brume enveloppe le petit bateau immobilisé sur une mer d'huile, les passagers scrutent l'océan dans un silence ouaté. Mais quand le dos sombre d'une baleine bleue apparaît enfin à l'horizon, des «oh!» et des «ah!» admiratifs résonnent de la proue à la poupe.

L'immense masse du cétacé glisse à la surface de l'eau et l'oeil averti de Dan Salas, capitaine du bateau et patron de Harbor Breeze Cruises, remarque que la baleine n'est pas seule. Elle a son petit avec elle - un baleineau d'environ cinq mois qui doit déjà approcher les 13 tonnes.

Un spectacle très rarement observé, selon les spécialistes réunis sur le bateau, parti dans la matinée de l'Aquarium du Pacifique à Long Beach, au sud de Los Angeles, pour faire découvrir à quelques dizaines de passagers les baleines bleues et l'abondante faune marine des eaux californiennes.

«C'était un couple mère-baleineau», confirme à l'AFP Michele Sousa, spécialiste des mammifères marins à l'Aquarium du Pacifique. «C'est assez unique, on les voit très rarement. Ils préfèrent rester à l'abri des regards».

La Californie «abrite l'une des rares populations stables de baleines bleues», précise Mme Sousa. Deux à trois mille - sur une population mondiale réduite aujourd'hui à 10 000 spécimens - vivent au large de Los Angeles.

Trafic maritime incessant

«Elles aiment nos côtes car on y trouve beaucoup de courants remontant des profondeurs. Et quand vous avez ce genre de courants, vous avez du krill», le crustacé microscopique dont se régalent les baleines.

Si les baleines bleues - une espèce protégée - semblent beaucoup se plaire en Californie, elles y risquent pourtant leur vie, en raison du trafic maritime incessant des ports jumeaux de Long Beach et Los Angeles, parmi les plus fréquentés des États-Unis.

«Il n'y jamais eu de créature plus grosse sur cette planète. Une baleine bleue, c'est plus grand qu'un dinosaure. Et les bateaux les tuent», déplore Dan Salas. «Nous devons créer de sanctuaires marins dans certaines zones», dit-il.

«Ce seraient seulement de petits secteurs, là où les baleines se nourrissent. Cet endroit est l'un des plus dangereux au monde (à cause des ports) mais c'est ici que les baleines viennent, et pas ailleurs», dit-il.

L'une des solutions serait de «déplacer les couloirs maritimes d'une ou deux miles nautiques. Nous avons le pouvoir de faire cela», affirme M. Salas.

Mme Sousa confirme qu'un tel changement «permettrait de créer des couloirs de sécurité pour les baleines», aujourd'hui victimes - à l'instar d'autres mammifères marins - de collisions avec des porte-conteneurs, tankers et autres chalutiers, quand elles ne se retrouvent pas prisonnières de filets de pêche.

Un objectif d'autant plus important que la population de baleines bleues, bien que protégée, «ne remonte pas autant que nous le souhaiterions» et qu'il reste beaucoup à apprendre des majestueux cétacés, souligne Mme Sousa.

«Ici, on peut les voir de juin à octobre. Où vont-elles ensuite, nous ne le savons pas vraiment, cela reste mystérieux», observe-t-elle.

Pour tenter de percer leur secret, l'Aquarium du Pacifique, en partenariat avec l'institut américain de recherche sur les mammifères marins Cascadia, a lancé un programme de marquage électronique, pour pister les cétacés.

«Le marquage a commencé il y a deux ans», précise Mme Sousa. «Nous espérons en savoir plus sur leur destination dans trois ou quatre ans, de façon à pouvoir protéger les eaux où elles se trouvent».