Crise démocratique, précédent dangereux ou action délibérée des conservateurs; l'élimination, en catimini par le Sénat, du projet de loi sur la responsabilité en matière de changements climatiques a soulevé la colère des partis de l'opposition et des environnementalistes.

«C'est honteux de voir ce que le Sénat a fait, sous la direction de M. Harper, qui a abandonné tous les principes et toutes ses promesses par rapport à la démocratie au Canada», a lancé, furieux, le chef du NPD, Jack Layton, qui pousse depuis quatre ans ce projet de loi, finalement adopté par la Chambre des communes au printemps dernier, grâce exclusivement aux députés de l'opposition, majoritaires en nombre. Les conservateurs s'y étaient toujours opposés.

 

La loi proposée prévoyait une réduction des émissions de gaz à effet de serre (GES) de 25% sous le niveau de 1990 d'ici 2020, soit une cible considérablement plus ambitieuse que celle annoncée par le gouvernement canadien après le sommet de Copenhague, de réduire de 17% les émissions sous le niveau de 2005, toujours d'ici 2020.

Selon le chef néo-démocrate, le premier ministre Stephen Harper a fait exactement ce qu'il reprochait aux gouvernements libéraux précédents: il a nommé des sénateurs partisans, non élus et donc non redevables envers la population canadienne, pour faire avancer son programme politique.

«Il a nommé le plus de monde possible le plus rapidement possible pour qu'ils puissent bloquer des lois provenant de la Chambre des communes. Et tous les Canadiens devraient être inquiets parce que ces sénateurs sont là pour longtemps, a dit M. Layton. Stephen Harper fait reculer la démocratie dans ce pays. En commençant par ce projet de loi sur les changements climatiques. Mais quelle sera la suite? Quel autre projet de loi, représentant la volonté des Canadiens, ce Sénat éliminera-t-il ainsi?»

Abolition du Sénat

Si M. Layton, qui réclame depuis toujours l'abolition du Sénat, reconnaît que les sénateurs ont théoriquement le pouvoir de bloquer ainsi des lois, il estime que c'est «contraire à la tradition constitutionnelle de ce pays».

D'après les chiffres colligés par les libéraux, seulement quatre projets de loi adoptés aux Communes ont été défaits au Sénat. Mais ce qui constitue un précédent, depuis 1925, c'est que le projet de loi C-311 a été rejeté en deuxième lecture par les sénateurs, sans qu'il soit débattu ni renvoyé en comité pour étude, comme c'est le cas de tous les projets de loi.

«S'ils n'en voulaient pas, ils auraient au moins dû se lever au Sénat et en débattre», a souligné le critique libéral en environnement, Gérald Kennedy.

Appelée à justifier cette stratégie qualifiée de «cavalière» par ses adversaires, la leader des conservateurs au Sénat, Marjorie LeBreton, a rétorqué que le gouvernement, «qui évidemment n'appuie pas ce projet de loi, n'allait pas manquer une telle occasion de le défaire».

«On rejette ce projet de loi parce que ça causerait des pertes d'emplois massives dans le pays. Ce serait très dommageable pour notre économie. Et ça ruinerait notre position de négociation avec les États-Unis», a-t-elle ajouté.

En Chambre, le premier ministre Harper a renchéri en répétant qu'il considérait le projet de loi C-311 comme irresponsable. «Les cibles sont déraisonnables, et on ne décrit aucun moyen pour les atteindre, autrement qu'en abolissant certaines sections de l'économie canadienne et en envoyant des milliers, et peut-être des millions, de personnes au chômage», a-t-il dit.

Environnementalistes en colère

Les groupes environnementalistes ont vivement dénoncé l'abandon de ce projet de loi, qui selon eux constituait le seul véritable espoir d'avoir au Canada un plan de lutte contre les changements climatiques ambitieux, et ce, à quelques jours de l'ouverture du sommet sur le climat de Cancún, au Mexique, qui fait suite à la rencontre de Copenhague, l'année dernière.

«Il n'y a rien sur la table actuellement qui permet de penser que le Canada va respecter ses engagements, si insuffisants soient-ils, a souligné Virginie Lambert Ferry, de Greenpeace Canada. Or, le Canada a une importante responsabilité dans la résolution du conflit climatique.»

Pour Clare Demerse, de l'Institut Pembina, c'est encore plus insultant que le projet de loi ait été battu de cette façon, sans débat et sans témoins venus expliquer en comité sénatorial de quoi il s'agissait. «Je pense que les Canadiens méritent mieux», estime-t-elle.

«Le Canada n'a pas de position, pas d'action, pas de plan, a renchéri le porte-parole libéral, Gerard Kennedy, en Chambre. Depuis cinq ans, le premier ministre et une longue série de ministres n'ont rien fait. Chaque semaine qui passe augmente l'ampleur de la montagne qu'il faudra gravir et ça sera de plus en plus difficile pour les entreprises canadiennes.»