Ji Yunliang faisait de la recherche sur les missiles pour une grosse entreprise publique chinoise, avant de devenir docteur en chimie. Aujourd'hui, il dirige une petite ferme bio.

Il a laissé tomber son bagage technique et scientifique pour combattre maladies et insectes avec des recettes ancestrales et autres secrets respectueux de l'environnement, dans sa propriété au nord de Pékin.

«Quand j'ai découvert l'agriculture biologique, j'ai compris que j'avais atteint un tournant dans ma vie. D'une certaine façon, cela va à l'encontre de tout ce que j'avais appris pendant mes études de chimie», dit le quadragénaire en se saisissant des vers qui attaquent ses feuilles de basilic.

Vu son coût, le bio n'est pas pour tout le monde en Chine: jusqu'à cinq fois plus cher que les légumes communs. Pourtant, le marché s'élargit avec les exigences de qualité de consommateurs lassés des scandales alimentaires récurrents dans le pays.

Il est estimé aux alentours de 5 milliards de yuans (750 millions de dollars canadiens) avec des perspectives de croissance de 20-30% par an dans les cinq prochaines années, selon Huang Dejun, analyste en chef de Beijing Orient Agribusiness Consultants.

Avec la forte croissance depuis des années de l'économie chinoise, «les gens se mettent à avoir les moyens et aspirent à une meilleure qualité de vie», souligne Huang.

Les alertes alimentaires en Chine sont souvent liées à la corruption.

Le dernier scandale, et l'un des plus graves, avait été, en 2008, l'affaire du lait contaminé à la mélamine, une substance chimique industrielle qui avait tué au moins six bébés et en avait rendu malades 300 000 autres, étouffé pendant des mois, dans une période de préparation des jeux Olympiques.

Mais 2010 a déjà vu des affaires de haricots toxiques, poires dangereuses et ciboulette aux pesticides retirés des étals.

A De Run Wu, sa ferme de 0,7 hectare, Ji s'abstient d'asperger les légumes d'herbicides, leur préférant le paillis, selon lui tout aussi efficace. Il alterne les ensemencements pour réduire les contaminations -- insectes et maladies.

Sa petite exploitation ne peut approvisionner que 200 familles en été et une centaine en hiver. Ses meilleurs clients lui versent 5 500 yuans (827 dollars canadiens) pour des livraisons hebdomadaires toute l'année.

«Nous voulons maintenir la diversité biologique et restaurer le système écologique» explique-t-il.

Autre productrice bio, Shi Yan, directrice de la ferme du Petit âne, souligne que «l'agriculture pleine de produits chimiques des dernières décennies a appauvri le sol et endommagé l'environnement».

«De plus en plus de gens ont pris conscience des causes profondes des problèmes de sécurité alimentaire (...) et veulent participer» au programme spécial mis sur pied par cette diplômée en développement agricole de l'Université du Peuple.

Ses clients -- 54 à ses débuts l'an dernier, 320 aujourd'hui -- se transforment en agriculteurs dans le cadre d'un programme de travail partagé qui leur permet de louer un bout de terre et ne cultiver que le week-end. A moins qu'ils ne se fassent livrer, moyennant une contribution minimum de dix heures de travail par saison.

A 69 ans, l'ancienne comptable Yu Shuchen est devenue une fidèle de la ferme du Petit âne où elle amène souvent sa petite-fille pour lui apprendre «ce que les livres n'enseignent pas».

Elle a aussi convié plusieurs amis, tous convertis, mais qui devront attendre l'année prochaine pour voir si une place de client-fermier se libère, explique-t-elle.

Difficile, toutefois, de faire du vrai bio dans un pays où air, sol et eau sont largement pollués.

Par ailleurs, «le rendement de l'agriculture biologique est trop bas» pour un pays comme la Chine où il faut nourrir 1,3 milliard d'habitants, dit Huang Dejun.