Après une décennie d'abondance et d'exploitation débridée, tous les indicateurs ont viré au rouge pour la pêche au thon en Méditerranée, au terme d'une saison rétrécie qui n'a satisfait ni les professionnels, ni les écologistes.

Avant même la date officielle de fermeture mardi 15 juin d'une saison réduite à un mois, contre deux en 2009, les thoniers senneurs français ont été rappelés au port par Bruxelles dès le 9 juin pour avoir prématurément atteint leur quota.Et pourtant, seuls 17 senneurs ont pris la mer parmi les 22 encore en activité - ils étaient 36 dans les années 90 et encore 28 en 2009, avec des quotas en baisse de 40% par rapport à l'année passée.

«On voit bien que d'année en année, c'est peau de chagrin parce qu'on n'a pas géré la ressource depuis belle lurette», souligne Philippe Cury, Directeur de recherche à l'Institut de recherche pour le Développement (IRD), joint par l'AFP.

«Ce qui est dur à faire entendre, c'est qu'une pêcherie se gère quand elle est productive, pas une fois que le stock s'est effondré. Même si on a encore une incertitude sur le niveau auquel il est tombé, à 20 ou 25% de son état d'origine, la surexploitation est là», enchaîne-t-il.

«On a une surcapacité énorme: trop de bateau et trop peu de poissons», ajoute-t-il.

Le problème, Pierre Georges Dachicourt, président du Comité national des pêches joint dimanche, le reconnaît : «Les scientifiques disent qu'il faut être prudent».

«Quand l'ICCAT (la Commission internationale pour la Conservation des Thonidés de l'Atlantique) dit qu'on peut pêcher 13 500 tonnes (dont 2.000 pour la France), on respecte. Mais entre la surface et 2.000 à 3.000 mètres de profondeur, est-on capable d'analyser l'état des stocks?»

Rappellant que l'Union européenne avait déjà interrompu la saison prématurément en 2008, il constate surtout que, pendant ce temps, les pêcheurs de Libye ou de Turquie continuent de jeter leurs filets en échappant à tout contrôle.

«En plus, là où on s'interdit de pêcher en-dessous des 30 kilos, eux prennent n'importe quoi, qu'ils envoient engraisser en cages en Croatie», s'insurge-t-il en réclamant «que les règles soient les mêmes pour tout le monde»: «Comment comprendre que le Japon arrive à avoir 50 000 tonnes de stocks en réserve, alors qu'on n'avait pas le droit d'en pêcher plus de 17.000 ou 20 000 ces dernières années?».

M. Dachicourt, cependant, assume désormais la perspective d'un moratoire «d'un an ou deux», qui pourrait être décrété dès cet automne par l'ICCAT. «On n'y échappera pas: le Japon va vouloir se racheter une bonne conduite, d'autant qu'il a quatre années de stocks devant lui», affirme-t-il.

En mars à Doha, le Japon avait réussi à empêcher l'inscription du thon rouge à l'Annexe 1 de la Convention internationale sur le commerce des espèces menacées (CITES), qui aurait signifié la fin des exportations.

«Mais même si la CITES a échoué, elle a envoyé un message qui a eu pour effet de renforcer la surveillance et le contrôle», analyse Christian Garnier, vice-président de la fédération France Nature Environnement (FNE).

FNE n'appuie pas, à la différence de Greenpeace ou du WWF, l'idée d'un moratoire à ce stade. L'urgence, estime M. Garnier, est plutôt de «lutter contre la pêche illicite et de faire respecter des quotas réalistes». En exerçant les pressions nécessaires sur les Etats non-européens.