Reed, élève de 9 ans, sort un devoir de son sac. Durant le week-end, il devait compter le nombre de lampes et d'appareils électriques qu'il y a dans sa maison, en plus de calculer le nombre de navettes que ses parents font chaque jour en voiture.

Nous sommes à l'école primaire Thurgood Marshall de Seattle, toute décorée pour Noël. C'est lundi matin et les 26 élèves de la classe de quatrième année de Mary McDonald reçoivent la visite de Kristine Cramer, qui vient leur parler de réchauffement climatique.Cette activité fait partie d'un programme scolaire appelé Shrinking Bigfoot («Diminuer notre empreinte»), mis sur pied par Seattle City Light, la société qui produit et fournit l'électricité qu'utilisent les 3,5 millions habitants de la plus grande région métropolitaine de l'État de Washington.

Kristine Cramer entre dans la classe avec sa gourde et son sac réutilisable. «Vous avez vu une pièce de théâtre récemment et on vous a parlé de quelque chose qu'on appelle le réchauffement climatique. Vous vous en souvenez? Qu'avez-vous retenu?»

L'élève Peng lève la main. «CO2», lance-t-il.

«Bien! Qu'est-ce que le réchauffement climatique? La température moyenne à la surface de la terre augmente», indique Kristine aux élèves.

Pour expliquer l'émission des gaz à effet de serre, la femme au look de randonneuse sort de son sac un tableau avec des éléments à coller: un soleil, de l'eau, des autos, du dioxyde de carbone, etc.

-Des volontaires?

Presque toutes les mains de la classe se lèvent pour participer à la mise en situation.

Kristine dit alors que les pets des vaches causent des gaz à effet de serre. Tous les enfants pouffent de rire.

-D'autres exemples?

«Utiliser souvent nos autos et laisser nos appareils électriques en marche», lance Reed.

-Que croyez-vous qu'il va arriver sur la planète?

«L'Arctique va fondre», répond Tess.

«La plupart des scientifiques s'entendent sur le fait que ce sont les activités humaines qui créent le réchauffement climatique, dit Kristine. La bonne nouvelle est que les choix que nous faisons tous les jours peuvent avoir un impact positif.»

«Avez-vous utilisé de l'énergie pendant la dernière semaine? Tout cela s'appelle notre empreinte carbone.»

Kristine invite ensuite les enfants à faire un petit jeu avec des points. On doit faire le meilleur choix entre boire l'eau du robinet ou d'une bouteille d'eau Fiji, puis entre prendre l'autobus ou sa bicyclette.

« Était-ce des choix difficiles?» demande Kristine aux enfants après l'activité. «Non», répondent-ils tous en choeur.

Une compagnie électrique neutre depuis 2005

En octobre dernier, Ban Ki-moon, secrétaire général de l'ONU, a aussi participé à un atelier du programme Shrinking Bigfoot, lors de sa visite en Seattle en préparation au Sommet sur le climat de Copenhague.

Seattle - ville mère de Starbucks, Boeing, Amazon et Microsoft - est un modèle quant à l'environnement et au développement durable. Avant même l'entrée en vigueur du protocole de Kyoto, elle en atteignait les objectifs. Le maire sortant Greg Nickels a été le maître d'oeuvre du U.S. Mayors Climate Protection (accord des maires des États-Unis sur la protection du climat), signé jusqu'ici par 1000 villes américaines, dont New York, Los Angeles et Chicago.

En 2005, Seattle City Light a été la première compagnie d'électricité aux États-Unis à présenter un bilan neutre pour son effet sur le climat. «Nous avons la chance de profiter de l'hydroélectricité, mais nous sommes des leaders nationaux», indique la directrice des affaires environnementales, Lynn Best. «Il faut que des villes soient des modèles pour que les autres n'aient pas à réinventer la roue.»

«Il y a longtemps que nous sommes pro-environnement, précise Mme Best. En 1976, nous avons dit non à un projet de deux centrales nucléaires pendant la crise énergétique. Le département d'environnement a été créé en 1977 et nous avons construit trois barrages hydroélectriques en 1990.»

«Notre priorité est la conservation, poursuit la directrice des affaires environnementales. Nous avons réduit nos émissions annuelles de dioxyde de carbone de 600 000 tonnes métriques.»

Il est impossible d'énumérer toutes les initiatives environnementales de Seattle City Light pour annuler l'effet des 193 000 tonnes métriques de gaz à effet de serre émis (en 2008). Mais la plus impressionnante est sans contredit les immenses stations électriques que la Ville fournit aux bateaux de croisière pour faire fonctionner leur navire sans essence dans le port de Seattle. Il y a aussi le parc de véhicules municipaux qui fonctionnent au biodiesel ou les modèles hybrides qui se rechargent dans une prise domestique ordinaire. Ou encore les escouades formées de personnes défavorisées qui cognent aux portes des maisons -sans avertir- pour remplacer gratuitement les ampoules traditionnelles par des ampoules fluorescentes.

Tout cela se fait en collaboration avec l'administration municipale. «Notre maire a beaucoup de mérite. Il nous soutient et il a beaucoup de leadership», signale Lynn Best.

Le maire Nickels -qui n'est plus en poste depuis le début du mois- a lancé le Seattle's Climate Protection Initiative il y a cinq ans. Les résultats sont impressionnants.

En 2008, Seattle a produit 7% de moins de gaz à effet de serre qu'en 1990, même si sa population a augmenté de 16%. Au total, les émissions ont diminué de 20%.

Le taux de recyclage est passé de 38% à 50% depuis 2003, alors que la moyenne nationale est de 32%. En trois ans, 148 kilomètres de pistes cyclables se sont ajoutés au réseau, si bien qu'entre 2007 et 2009, le taux d'utilisation du vélo a bondi de 15%.

Chaque jour de semaine, 300 000 personnes utilisent aujourd'hui les autobus de la société de transport de Seattle, le King County Metro. C'est une augmentation de 20% depuis 2005 et de 8% depuis 2007.

Il faut savoir que les autobus sont hybrides, et que les transports en commun sont gratuits au centre-ville. Il y a aussi un train léger, qui circule au centre-ville et qui se rend à l'aéroport depuis quelques semaines.

L'effet Seattle?

Nissan a choisi de vendre ses premiers véhicules 100 % électriques - le modèle Leaf - à Seattle. Dans le cadre d'un partenariat entre la Ville et le concessionnaire automobile, 2500 postes de recharge publics seront installés.

Seattle est une ville verte, mais d'autres villes du Nord-Ouest pacifique comme Portland et Berkeley le sont aussi.

Pourquoi?

«C'est tellement beau ici, répond spontanément Lynn Best. Les gens dépendent de l'eau, sont proches de la nature, et ils font du sport. »

«Il y a peu d'industries qui polluent, ajoute-t-elle. Il y a beaucoup d'entreprises de logiciels, de recherche médicale... Mais il y a surtout un consensus par rapport à l'environnement à Seattle... même dans le monde des affaires. Ce n'est pas un groupe contre un autre.

La population est convaincue.»

Retenir les gens dans les villes

Battu par Mike McGinn, avocat et ancien membre du Sierra Club, Greg Nickels n'a pas été réélu pour un troisième mandat. Avant de quitter la mairie, en décembre dernier, il a affirmé dans une lettre ouverte parue dans le Seattle Times que le domaine à protéger par rapport à l'environnement est... l'éducation.

«Nous savons que les gens qui habitent dans les villes ont une empreinte carbone plus petite que ceux des banlieues et des campagnes. La densité est mieux pour l'environnement. Mais si les parents craignent pour l'éducation de leurs enfants à Seattle, tous nos efforts ne les convaincront pas de rester.»

L'ancien maire devrait aller dans la classe de Mary McDonald. Il serait rassuré.