Une masse gélatineuse rouge-orangé de la taille d'un petit réfrigérateur émerge des eaux sombres, ses tentacules venimeux pris dans le filet de pêche. En quelques minutes, des centaines d'autres méduses sont remontées, amas palpitant et translucide qui surpasse la prise de maquereaux et bars.

Les pêcheurs de la baie de Wakasa, dans l'ouest du Japon, pestent en rejetant les envahisseurs marins qui menacent leur gagne-pain. La méduse de Nomura, la plus grosse du monde, peut mesurer jusqu'à deux mètres de diamètre sans les tentacules, peser jusqu'à 200kg et anéantir une journée de pêche en empoisonnant ou tuant les poissons pris avec elle dans les filets.

«Certains pêcheurs ont tout simplement arrêté de pêcher. Quand vous remontez les filets et que vous voyez les méduses, ça vous déprime», explique Taiichiro Hamano, 67 ans. À l'en croire, cette année est l'une des pires qu'il ait connues.

Autrefois considérées comme une phénomène rare revenant tous les quarante ans environ, les invasions de méduses se reproduisent presque chaque année sur des milliers de kilomètres de côtes japonaises et bien au-delà.

Les scientifiques y voient la conséquence du changement climatique et du réchauffement des océans, grâce auquel les près de 2.000 espèces de méduses ont étendu leur territoire, apparaissant plus tôt dans la saison et beaucoup plus nombreuses.

Elles sont accusées de faire des ravages dans l'industrie de la pêche dans la mer du Nord et celle de Béring, qui sépare l'Asie de l'Amérique, de provoquer la fermeture d'usines marémotrices et de désalinisation au Japon, au Moyen-Orient et en Afrique, et de terroriser les baigneurs sur les plages, résume la Fondation nationale américaine pour la science (NFS). Elle fait par exemple état de 500 000 piqûres de méduses par an dans la baie de Chesapeake, sur la côte Est des États-Unis, et 20 à 40 personnes tuées chaque année aux Philippines.

Les méduses ont changé la vie des pêcheurs du port japonais de Kokonogi. En 2002, elles ont commencé à envahir la baie, arrivant parfois à 500 millions, réduisant les prises de 30% et faisant s'effondrer les prix de moitié en jetant le doute sur la qualité du poisson.

«Nous les avons repoussées mais, malgré tous nos efforts, elles reviennent encore et toujours. Le gouvernement doit nous aider», se lamente Fumio Oma, à quai avec son équipage depuis que le chalut s'est déchiré sous le poids de sa récolte gélatineuse.

L'invasion coûte jusqu'à 30 milliards de yens (228 millions d'euros) par an à l'industrie halieutique japonaise et des dizaines de milliers de pêcheurs demandent une aide publique, explique Shin-ichi Uye, le spécialiste japonais de la méduse de Nomura, largement méconnue avant ses travaux.

Pour lui, les eaux côtières chinoises sont idéales pour la Nomura, qui suit le courant jusqu'au Japon. Les rejets agricoles et industriels favorisent la croissance du plancton, les prises de poissons déclinent et la température de la mer Jaune a augmenté de 1,7 degré Celsius en un quart de siècle. Il exhorte le gouvernement japonais à aider les pêcheurs et Pékin à prendre des mesures avant qu'il ne soit trop tard.

Jennifer Purcell, chercheuse dans le domaine marin à la Western Washington University, a établi une corrélation entre le réchauffement et les méduses en au moins onze lieux, notamment en Méditerranée et en mer du Nord, ainsi que dans la baie de Chesapeake.

Certaines espèces tropicales semblent toutefois décliner lorsque la température grimpe trop. Et même si la population de méduses explosait, d'autres facteurs comme la ressource alimentaire et les courants, limiteraient le phénomène à long terme. Des chercheurs écrivaient ainsi en 2008 que la population de la mer de Béring, multipliée par 40 entre 1982 et 2000, avait reculé malgré des températures record.

Des mesures de long terme seront nécessaires pour lutter contre l'invasion, estiment les experts: quotas de pêche, contrôle de la pollution ou limitation des émissions de gaz à effet de serre contribuant au réchauffement climatique.

En attendant, les gouvernements n'ont guère d'autre choix que de mettre en garde les baigneurs et d'aider les pêcheurs. Au Japon, l'État participe ainsi à l'achat de filet spéciaux qui séparent les méduses des poissons. Mais un glacier japonais a trouvé une autre parade: au lieu du traditionnel cornet, il propose des méduses géantes à lécher...