Depuis sa barque glissant sur le fjord de Nuuk, la capitale du Groenland, Johannes Heilmann, la soixantaine, observe depuis des années avec amertume les effets du réchauffement climatique, deux fois plus rapide dans l'Arctique que dans le reste du monde.

Il a du mal à pêcher l'hiver car la banquise a presque disparu dans le fjord, laissant la place à une mer verglacée impossible à naviguer pour les petits bateaux comme le sien, et rendant très difficile la pêche côtière dans des eaux tapissées de plaques de glaces. «On ne peut pas utiliser de traîneaux non plus, la glace n'est pas assez épaisse», déplore le pêcheur, qui doit se contenter de chasser des oiseaux, parfois des phoques, en attendant l'été.

À Ilulissat, à plus de 200 kilomètres au nord du cercle polaire, Emil Osterman, raconte dans le journal Sermitsiaq comment «en 1968, à treize ans, il était allé pêcher en décembre dans le fjord où la glace était épaisse de plusieurs mètres».

Aujourd'hui, plus de 40 ans après, la banquise au même endroit et à la même période, «n'est épaisse que de 30 centimètres».

À l'association des pêcheurs et chasseurs à Nuuk, son président, Leif Fontaine, fait le même constat.

«Lorsque l'eau devient plus chaude, les crevettes -- l'or rose du Groenland, principal article d'exportation de sa pêche, elle-même premier secteur d'activité -- se raréfient et émigrent plus au nord», a-t-il constaté.

«Et la fonte des glaces est préoccupante, surtout pour les habitants des villages isolés au nord et à l'est qui n'ont que leurs traîneaux pour chasser, pêcher et survivre», observe-t-il, ce qui contraint certains chasseurs à laisser leurs chiens affamés, faute de pouvoir leur procurer des phoques ou du poisson à manger.

Les ours polaires aussi, qui se déplacent sur les glaces de la banquise, ont de plus en plus de mal à se nourrir et se rapprochent de plus en plus des villages à la recherche de nourriture.

À Nuuk, les habitants, comme Nana Pedersen et Sofus Moeller, deux jeunes bacheliers, s'inquiètent des perturbations climatiques, comme le 20 juin dernier, où il y a eu des giboulées de neige très inhabituelles à Nuuk, se souvient Nana.

Au nouveau centre de recherches arctiques de Nuuk, son directeur, le professeur Soeren Rysgaard, n'a pas de doute sur les effets du changement climatique, «qui sont bien visibles en Arctique».

Les pêcheurs, qui remontent moins de poissons dans leur filets ou ne peuvent plus pêcher par endroits parce que la banquise est trop fragile, sont en première ligne, observe-t-il.

Mais pour Josef Motzfeldt, président du Landsting, le parlement local, le réchauffement a «aussi du bon», car il augmente le nombre de touristes qui viennent voir ses effets sur les glaciers de l'île et entraîne l'apparition d'espèces, comme les oursins et les calamars.

Il favorise également la culture de légumes au sud du Groenland, qui n'a jamais autant mérité son nom de «pays vert».

«Les arbres poussent et on cultive en plein champ pommes de terre, salades, carottes, choux» pour le marché local, explique Anders Iversen, en charge d'une pépinière près de Qaqotorq (sud).

«Si le réchauffement se poursuivait, nous pourrions cultiver encore plus de légumes variés pendant une saison plus longue», assure-t-il.

L'enthousiasme des agriculteurs de la pointe sud pourrait bien être confirmé par de nouvelles constatations du réchauffement, à l'extrême-nord du Groenland cette fois.

L'Arctic Sunrise, un navire de l'organisation écologiste Greenpeace, vient d'entamer une expédition destinée à contrôler l'état du glacier Petermann, qui est en train de se disloquer, signe pour Greenpeace que le réchauffement n'est plus «une théorie, mais une dure réalité».