Lancée sans tambour ni trompette il y a quelques jours, l'exposition Aqua ouvrira officiellement ses portes le 15 mai au Centre des sciences de Montréal, après avoir subi certaines retouches. Cette «expérience multisensorielle», qui s'adresse surtout aux jeunes, est la première campagne de sensibilisation de la fondation One Drop de Guy Laliberté, son «deuxième grand rêve» après le Cirque du Soleil. Rencontre.

Q Pourquoi l'eau?

R Au départ, j'étais inspiré par l'eau comme source de vie, j'étais touché par l'eau parce qu'un enfant meurt aux huit secondes en raison du manque d'accès à une eau potable. À partir de là, j'ai vite compris que l'eau va devenir le défi le plus important auquel l'humanité fera face dans un proche avenir.

Q L'eau comme défi?

R Déjà, les problèmes liés à l'eau sont la cause de mortalité la plus importante dans le monde. Mais à plus long terme, il y aura crise si l'on ne fait pas rapidement les gestes nécessaires. Le manque d'eau risque de causer, d'ici à 25 ans, d'importantes migrations. Est-ce que les pays voisins accepteront ces gens? Historiquement, on voit bien que ces gens-là ne sont pas accueillis à bras ouverts. Donc on risque d'assister à d'énormes guerres en lien avec l'eau.

Q Comment renverser la vapeur?

R Il va falloir qu'il y ait des changements de politique, qu'il y ait un engagement de la population entière, qu'il y ait des efforts communs de tous les ordres de gouvernement et dans l'entreprise privée, mais aussi au plan individuel.

Q Le Canada fait-il partie du problème ou de la solution?

R Nous disposons de la plus grande réserve d'eau potable au monde. Nécessairement, nous devons mettre en place des mesures qui vont faire du Canada un leader sur la scène internationale. Or, nous ne le faisons pas. Pour l'instant, nous allons dans la mauvaise direction ; j'ai même l'impression que nous régressons.

Q Que voulez-vous dire?

R Je suis un voyageur. Je suis parti de chez moi très tôt. Je me souviens comment, à cette époque, le Canada était perçu : comme un pays qui faisait la promotion de la paix, qui était au coeur de la médiation lors de conflits. D'ailleurs, fait significatif, le passeport canadien était alors le plus cher sur le marché noir avec le passeport suisse... Aujourd'hui, nous sommes en train de perdre tout ça.

Q Que devrait faire le Canada?

R Je rêve que mon pays soit un chef de file sur la scène internationale, qu'il montre l'exemple. Cela parce qu'il possède d'énormes réserves d'eau, parce qu'il sera probablement une terre d'accueil en cas de guerre de l'eau, etc. Mais je rêve aussi que la population canadienne, que mes concitoyens changent leurs habitudes de consommation d'eau. Nous sommes parmi les plus grands gaspilleurs d'eau au monde.

Q En quoi la Fondation One Drop peut-elle aider?

R Nous, à One Drop, moi, Guy Laliberté, nous avons pris divers engagements en lien avec l'eau. Nous menons des actions concrètes sur le terrain dans les pays du Sud. Nous croyons énormément à l'importance des projets d'éducation et de sensibilisation, comme celui de l'exposition Aqua. Car c'est souvent par naïveté, par une fausse impression d'abondance de la ressource que nous gaspillons.

Q Et vous, personnellement, vous avez changé des choses?

R Certaines décisions prises dans le passé n'étaient pas nécessairement cohérentes avec ce que je prêche aujourd'hui, c'est vrai. Mais depuis, il y a eu une consigne pour analyser tout ce qui pourrait être fait pour préserver l'eau et l'énergie, tant au Cirque qu'à la maison. Il n'y a plus de bouteilles d'eau en circulation au Cirque, par exemple. Nos employés ont des verres ou des bouteilles réutilisables. Nous avons installé des filtres. Nous faisons la captation d'eau usagée. Même chose à mon domicile, où nous n'avons plus de bouteilles d'eau.

Q Il est vraiment possible d'être classé dans le palmarès Forbes des plus riches de la planète et d'économiser l'eau?

R La question est pertinente, et je savais qu'on allait me la poser un jour... Je ne peux pas prétendre que je suis 100% parfait. Mais depuis quelques années, tous nos projets, au Cirque et à la maison, passent par une réflexion écologique. J'ai même pris la décision de ne pas faire de piscine intérieure dans ma nouvelle résidence. J'ai aussi mis en place les derniers appareils, tant pour la préservation de l'énergie que pour la consommation d'eau. Tout a été étudié pour que les machines les plus performantes soient choisies. En même temps, soyons francs, ma résidence a tant de pieds carrés. C'est clair que je consomme probablement plus d'eau que la moyenne. Mais j'ai aussi plus d'enfants (cinq) que la moyenne... (rires)

Q Ce que vous êtes devenu, vous le devez beaucoup au Québec, qui vous a donné votre premier contrat. Vous êtes-vous demandé si votre fondation ne devait pas profiter d'abord au Québec, où certains Autochtones n'ont pas accès à l'eau, par exemple?

R Je ne connais pas beaucoup de compagnies au Québec qui accordent chaque année autant d'argent en philanthropie. Aussi, quand nous avons fait le choix de nous installer ici, dans le quartier Saint-Michel, au deuxième rang des quartiers les plus pauvres du Canada, nous avions d'autres propositions beaucoup plus glamour. Et nous nous sommes tout de même installés ici pour grandir, pour partager.

Q Pour régler bien des problèmes sur la planète, certains estiment qu'individus et entreprises devraient verser en don 1% de leurs revenus ou de leurs profits. Vous y croyez?

R Certainement. L'ensemble des membres de la direction versent au moins 1% de leur salaire à One Drop. Nous menons aussi une campagne annuelle auprès de tous les employés pour qu'ils versent 1% de leur salaire. Actuellement 28% de nos employés participent. Et moi personnellement, Guy Laliberté, je suis pas mal au-dessus de 1% de mes revenus...

Q Micheline Lanctôt a déploré à Tout le monde en parle que bien des fondations orientent leurs fonds vers des causes particulières au détriment du fisc, au détriment des priorités sociales et collectives de l'État...

R Elle peut dire ce qu'elle veut; moi, je sais ce que je fais. J'ai déjà averti mes enfants que 80% de mes avoirs iraient à l'humanité, à la philanthropie. Mes causes sont claires: les jeunes de la rue, Cirque du monde, One Drop et la fondation Guy Laliberté pour l'aide à la pauvreté. Et je peux vous dire que, dans mon cas, cela n'a rien à voir avec la fiscalité. J'étais dans la rue et je donnais parfois plus que ce que j'avais dans mon chapeau! Cela dit, je peux comprendre ce que Micheline a dit, car moi aussi j'ai constaté cette hypocrisie dans d'autres grandes entreprises.

Q One Drop est née au moment où le Cirque fêtait ses 25 ans. Qu'aura permis la Fondation dans 25 ans?

R J'ai déjà parlé de l'avenir du Cirque en disant que je rêvais du jour où 6 milliards de personnes porteraient un nez de clown. Aujourd'hui, je rêve du jour où 6 milliards de personnes auront leur verre d'eau chaque jour. Aujourd'hui, c'est tous pour l'eau. Dans 25 ans, j'espère que ce sera l'eau pour tous.