L'ouverture possible du marché américain à l'hydroélectricité québécoise pose une question épineuse: l'électricité provenant des grands barrages est-elle verte?

Au Québec, la question ne se pose presque plus. Il semble entendu que la source d'énergie qui alimente la quasi-totalité des besoins en électricité de la province (97%) est écologique, renouvelable et, donc, verte.

 

Pourquoi poser la question, dans ce cas? Parce que les Américains ont toujours refusé d'inclure l'hydroélectricité dans leurs programmes de développement des sources d'énergie renouvelable: le «Renewable Energy Production Incentive» au fédéral, et les «Energy Portfolio Standards» dans les États.

«C'est en quelque sorte une mesure protectionniste, estime le ministre des Ressources naturelles, Claude Béchard. Voilà pourquoi on a relancé (auprès des Américains) l'idée que c'est une énergie verte. Les gens pensent encore qu'en construisant un barrage, un réservoir, on inonde tout, sans prendre en considération les impacts sur l'environnement. Or, les choses ne se font plus de cette manière aujourd'hui.»

Au cours des derniers mois, plusieurs membres du gouvernement Charest, incluant le premier ministre, ont ainsi rencontré des législateurs américains pour les convaincre que les projets comme Eastmain-1A ou encore la Romaine, qui a eu le feu vert du Bureau d'audiences publiques sur l'environnement hier, n'auront pas l'impact qu'on leur attribue.

Contre-discours

Mais ces pressions politiques rencontrent de la résistance, car les élus américains ont aussi droit au contre-discours. Plusieurs écologistes reprochent aux grands barrages et aux dérivations leurs impacts sur les communautés locales, sur la nature, la faune, la flore et les poissons.

«On l'oublie facilement, mais l'hydroélectricité se fait au prix de nombreux impacts sur l'environnement, indique Anne-Marie Saint-Cerny, directrice de la Fondation Rivières. Que l'on pense à l'assèchement des rivières, à l'inondation des forêts, à la création de méthyle-mercure, etc.»

Plus conciliant pendant des années, le discours environnemental s'est corsé récemment avec l'essor de nouvelles sources d'énergie qui, elles, sont considérées réellement vertes: éolien, solaire et géothermie. La Fondation Rivières, d'ailleurs, estime qu'un parc éolien en Minganie créerait 60% plus d'emplois que la Romaine, tout en coûtant 25% moins cher par kilowattheure.

Impacts?

Donc toute noire ou toute verte, l'hydroélectricité? Difficile de trancher, répond Éric Duchemin, professeur à l'Institut des sciences de l'environnement de l'UQAM. Expert des réservoirs auprès du GIEC pendant six ans, il fait valoir que nous ne connaissons pas encore tous les impacts des projets hydroélectriques.

«On ne considère pas, dans les inventaires d'émissions, la quantité de gaz à effet de serre qui s'échappent des réservoirs. On ne connaît pas les impacts cumulatifs des différents projets sur le fleuve Saint-Laurent. Il faudrait donc regarder honnêtement ces impacts.»

Pour Pierre-Olivier Pineau, spécialiste des questions énergétiques à HEC, l'hydroélectricité peut être considérée verte... ou pas, selon la source d'énergie avec laquelle on la compare.

«En termes de gaz à effet de serre, l'hydroélectricité est presque imbattable. Ses émissions sont minimes en comparaison avec le charbon, le gaz naturel ou le mazout. Sur le cycle de vie, elles sont comparables à celles du nucléaire et des éoliennes. Par contre, il y a des impacts sur le territoire: zones inondées dans le cas des barrages avec réservoir, et perturbation des débits d'eau dans les cours d'eau affectés.»