Le monde change rapidement. La perte de nos repères transforme peu à peu ce que nous étions et nous fait remettre en question inévitablement ce que nous sommes devenus.

L'Arctique est un bon exemple. Encore cette semaine, d'importantes langues glaciaires se sont détachées de l'île d'Ellesmere. Encore quelques centaines de kilomètres carrés de glace perdus cet été. Des langues glaciaires, qui avaient mis des millénaires à se former, sont devenues icebergs tabulaires à la charpente de verre, fragiles. Ces nouvelles cathédrales de glace éphémères voguent maintenant vers leur désintégration complète dans l'océan. Elles naviguent vers leur fin.

Cette glace ne reviendra pas. Elle ne se reformera pas non plus. Le processus est irréversible puisque le climat actuel ne le permet plus. Les conditions environnementales ne sont tout simplement plus les mêmes, et l'équilibre millénaire qui a permis la formation et la préservation de ces immenses plateaux de glace a changé. C'est la fin.

Aujourd'hui, l'imagerie de l'Arctique se modifie, à grands pans de glace révolus par le temps. Et il n'y aura pas de retour en arrière possible. Si vous n'avez jamais vu l'Arctique, sachez que vous ne le verrez jamais comme il était.

La biodiversité de la planète change également. Elle décroît à un rythme effarant et inhabituel selon les règles normales de l'évolution de la vie sur Terre. Quand le dernier des 674 gorilles de montagne rendra son dernier souffle, il ne sera pas remplacé. Ce sera la fin. Même phénomène avec les tigres de Sumatra (moins de 500 survivants), les phoques moines ou même le quart des mammifères ou le tiers des amphibiens de la planète qui sont aujourd'hui menacés. Car 784 espèces ont déjà connu leur fin, elles sont éteintes, disparues. Elles ne sont plus qu'archives photographiques ou croquis d'une autre époque. Et pour 65 autres espèces qui n'existent aujourd'hui qu'en captivité, la fin est proche.

Nous dominons la Terre et l'exploitons à un rythme tel qu'il reste bien peu pour les autres formes de vie. La pression que nous exerçons sur les habitats de la planète ne cesse de s'accentuer, poussant inévitablement les autres espèces vers leur fin. Nous transformons le paysage par notre déforestation et nous modifions les équilibres de la planète. L'eau, l'air, la terre, tout est transformé pour nos besoins.

Nous avons créé ces besoins et nous payons aujourd'hui un fort prix pour cette nécessité inventée. Notre soif de consommation détermine aujourd'hui la facture que devront avaler ceux et celles qui boiront de notre eau. Notre faim pour le progrès explique peut-être, sans grande logique, notre appétit insatiable pour la nouveauté, mais le poids de notre boulimie commerçante sera lourd de conséquences. Qu'il en soit ainsi si nous le désirons. Mais acceptons, à tout le moins, que ce processus mène inévitablement à la fin. La fin de bien des choses telles que nous les connaissons aujourd'hui. La perte de nos repères. Et si nous voulons réellement réduire les pertes et la destruction, il faudra nous donner les moyens de changer. Après tout, ne dit-on pas que la fin justifie les moyens?

LA SCIENCE EN BREF

Loups et saumons

Quand vous imaginez un loup se nourrir, vous le voyez sans doute en train d'attaquer férocement un cervidé. Une nouvelle étude conclut toutefois que, quand il le peut, le loup préfère la pêche à la chasse! Une équipe de l'Université de Victoria, en Colombie-Britannique, a étudié pendant quatre ans les habitudes alimentaires des loups de cette région. Leurs résultats sont étonnants: si le loup se nourrit principalement de cerfs la majeure partie de l'année, il préférera les saumons. Selon les auteurs de l'étude, le saumon constitue un choix sensé et sécuritaire pour le loup puisqu'il faut beaucoup d'efforts et d'énergie pour capturer un cerf et que les risques de blessures sont élevés. De plus, le saumon représente une source de nourriture plus riche que le cerf. Et ce n'est pas une histoire de pêche!

Plus bas que certaines prédictions

Les conjectures vont bon train quand vient le temps de prédire l'élévation du niveau des mers au cours du prochain siècle. Des scientifiques de l'Université Boulder, au Colorado, viennent de publier les résultats d'une vaste étude sur le sujet. Selon eux, en considérant les aspects physiques de la fonte des glaciers, il serait pratiquement impossible d'envisager une élévation du niveau des océans de plus de deux mètres. Ils prédisent plutôt un niveau des mers supérieur de un à deux mètres vers 2100. Cela demeure important, et cette hausse aura des répercussions sociales et environnementales importantes, mais ce n'est rien si on la compare à certaines prédictions catastrophes qui évoquaient une élévation de six ou 10 mètres.

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L'auteur est biologiste, photographe et cinéaste. Il a été chef de trois missions à bord du voilier Sedna IV, dont la plus récente en Antarctique. Il signe chaque semaine une chronique dans nos pages.

Illustration(s) :

Photo Jean Lemire, collaboration spéciale

SUR LE VIF: Un iceberg à la dérive - Arctique canadien, détroit de Davis - Un iceberg détaché d'une langue glaciaire du Groenland entreprend son long périple vers le sud, au large des côtes du Canada. Cette imposante structure de glace n'en a plus pour très longtemps. En navigation bien involontaire, dirigée par vents et courants, l'iceberg atteindra rapidement la fin de son périple océanique, sans doute quelque part au large des côtes de Terre-Neuve, ou peut-être même sur la Basse-Côte-Nord du Québec. Au gré des courants et des vents chauds qui le façonnent et modifient son allure, il craquera haut et fort, il fondra sous les effets d'une chaleur nouvelle, se renversera de façon spectaculaire à plusieurs reprises et se brisera enfin en une multitude de bourguignons que redoutent les marins de la nuit. En quelques années, ce sera la fin. Cette représentation monumentale des archives de la planète ne sera plus qu'un souvenir.