On aime les ours polaires de l'Arctique, tout comme les drôles de manchots de l'Antarctique. On s'inquiète devant les conséquences des changements climatiques aux pôles, ces avant-postes qui nous renseignent sur la gravité des bouleversements climatiques en cours.

Les grands mammifères comme l'ours polaire, le caribou ou certaines espèces de baleines qui vivent en Arctique suscitent la fascination, voire même une certaine admiration du public. Le phénomène est identique en Antarctique avec les manchots.

Si je vous apprenais que les rats de nos villes étaient menacés par les changements climatiques, votre réaction serait sans doute tout autre. Il y en aurait même pour encenser les changements climatiques, tellement leur appréhension pour ce petit rongeur est presque viscérale.

Nous ressentons tous une émotion particulière si un bel oiseau heurte mortellement une fenêtre de notre maison. Nous réagissons unanimement pour sauver une bande de dauphins qui s'échoue sur une plage. Les comportements kamikazes d'un groupe d'araignées ou de couleuvres sur notre balcon risquent de susciter une réaction de dégoût ou, à tout le moins, d'indifférence. Nous sommes sélectifs dans nos émotions et dans nos sentiments.

Si je vous parle des conséquences des changements climatiques sur les éponges de mer, les poissons de glace ou encore les étoiles de mer, ça passe encore. Mais si je vous dis que des espèces comme les ascidies, les arthropodes, les échinodermes, les bryozoaires, les cnidaires ou les vers de mer sont menacées, vous ne pleurerez pas toutes les larmes de votre corps. Ces espèces déclenchent rarement un élan de compassion déraisonnée. Et pourtant...

L'ensemble de la vie marine est régi par un principe établi depuis très, très longtemps: la stabilité de l'habitat. En Antarctique, par exemple, certaines espèces disparaîtront sans doute rapidement dans le calendrier planétaire. En mer, la hausse récente observée de la température de l'eau de surface atteint déjà 1°C, ce qui représente un changement important pour la majorité des organismes qui vivent dans un habitat d'une grande stabilité.

En laboratoire, certains organismes marins montrent d'importantes difficultés d'adaptation à partir d'une augmentation de 2°C. Si la tendance se maintient, le seuil thermal de survie de ces animaux pourrait bien être atteint d'ici une cinquantaine d'années. Vous n'allez sans doute pas pleurer pour ce pauvre ver marin ou cet isopode aux allures de pou géant. Mais souvenez-vous que chaque organisme fait partie d'une grande chaîne où tout est finement lié, imbriqué, du plus petit au plus grand, du plus laid au plus beau.

Les animaux que l'on aime, que l'on filme et que l'on trouve charmants dépendent bien souvent des moins connus, des plus laids, des oubliés. Quand le crustacé planctonique étouffe sous une chaleur nouvelle et qu'il voit ses populations diminuer, personne ne s'en inquiète trop. Après tout, ce n'est pas très émouvant comme scène. Mais si une pauvre baleine est retrouvée morte, amaigrie, flottant en surface, on alerte aussitôt l'opinion publique. Pourtant, la situation du plus petit explique bien souvent celle du plus grand. L'absence du krill, ce petit crustacé planctonique qui constitue la nourriture préférée de plusieurs mammifères marins, pourrait bien être à l'origine de la mort de la baleine.

J'ai souvenir encore d'une plage recouverte de carcasses de jeunes manchots papous. Les journaux ont rapidement rapporté l'incident, photos à l'appui. La nouvelle a fait le tour du monde. Cette même année, un chercheur américain publiait ses conclusions sur l'impact des changements climatiques sur la production de krill, nourriture essentielle aux manchots, aux baleines, aux phoques et à toute une communauté d'organismes marins.

Il établissait une corrélation directe entre la mort de ces manchots et cette inquiétante diminution de krill. Les manchots étaient morts de faim et d'épuisement, incapables de trouver leur nourriture à proximité de leur colonie. Mais la véritable histoire, la plus importante, celle qui aurait dû susciter une réelle mobilisation, reposait sur ce déclin inquiétant d'une sorte de crustacés miniatures.

Personne n'en a parlé, à part quelques revues scientifiques spécialisées.

Le drame avec les changements climatiques repose, en grande partie, sur la perception que nous avons de la problématique. Si un ours polaire meurt sur une banquise en déclin, on publie en première page, à condition que la photo soit belle et puissante. Il s'en suit souvent une dérive de l'information, alimentée par une machine médiatique qui recherche la nouvelle à sensation.

Vous ne verrez pas de photo de vers marins dans cette chronique. Mon iceberg est beaucoup plus beau et accrocheur. Mais souvenez-vous quand même qu'au-delà des apparences, les véritables victimes des changements climatiques sont souvent ces animaux que l'on ne voit pas, ceux qui représentent la base de la grande pyramide de la vie, les premiers maillons d'une chaîne alimentaire qui permet aux animaux que nous connaissons et aimons de survivre dans un monde de grand bouleversement climatique.

On en parle peu, mais ce sont les oubliés du climat perdu.

La question de la semaine

Q: La Presse rapportait les résultats d'une étude scientifique qui démontre que les icebergs qui se détachent des glaciers sont plus nombreux et affectent les fonds marins. Mais on dit aussi que ce phénomène aide à repeupler les fonds marins. Alors, c'est bon ou mauvais? - Claire, Pointe-Saint-Charles

R: L'étude en question fait référence aux observations faites dans le secteur ouest de la péninsule antarctique, où le mercure a grimpé de près de 3°C au cours des 50 dernières années seulement. Avec un tel réchauffement, il est normal d'observer une plus grande production d'icebergs qui se détachent des glaciers.

Lors de notre passage à la base britannique de Rothera, nous avons accompagné ce chercheur dans ses plongées. Le Dr Smale utilise de petits blocs de béton, installés au fond de l'océan, pour calculer les impacts des icebergs sur les communautés d'organismes qui vivent dans les fonds marins. Ces icebergs, qui bougent au gré des vents et des courants, raclent les fonds jusqu'à des profondeurs qui peuvent atteindre 500 mètres.

Les animaux qui ne peuvent se déplacer sont tout simplement anéantis par cette masse de glace qui arrache tout sur son passage. Il est vrai qu'un tel nettoyage des fonds marins peut favoriser la diversité, en créant de nouveaux espaces disponibles pour les espèces. Mais il y aussi un risque réel si ce phénomène est trop fréquent.

Près de 80% de la vie aquatique de l'Antarctique se développe dans les fonds marins. Et le métabolisme de ces organismes est beaucoup plus lent que celui des autres animaux marins des régions moins froides, ce qui diminue leur rythme de croissance et de reproduction. Par exemple, certaines espèces d'étoiles de mer, que l'on retrouve dans d'autres océans, vont vivre en moyenne une dizaine d'années et se reproduire chaque année. En Antarctique, ces mêmes étoiles de mer vont vivre une centaine d'années, mais ne vont se reproduire que tous les 10 ans.

Les trucs de la semaine

Préparez-vous, les fruits importés arriveront bientôt. Ils seront peut-être moins chers, mais oubliez-les. Encouragez vos producteurs locaux et mangez de saison. Allez dans les marchés publics et exigez des produits de chez nous ! N'oubliez pas de faire vos réserves pour l'hiver. Les fraises du Québec, les bleuets du Lac-Saint-Jean ou les légumes de début de saison ne seront pas disponibles tout l'été.

Préparez vos confitures, vos marinades ou vos conserves en fonction du calendrier de production de nos excellents produits locaux. Vous économiserez tout en encourageant vos producteurs locaux, et vous serez ravis de retrouver ces aliments préparés lorsque les étals seront moins garnis. Une belle activité familiale, surtout pour les jours de grisaille.