Au Pérou, la fonte accélérée des glaciers tropicaux menace de priver d'eau tout le pays, des paysans quechuas aux habitants de Lima. Notre correspondant s'est rendu sur place en compagnie de glaciologues avec qui il a constaté les dégâts.

Pour Marco Zapata, coordinateur de l'unité de glaciologie de Huaraz, ce voyage jusqu'au glacier de Pastoruri était comme un pèlerinage.

Il y a d'abord la route sinueuse qui longe la Cordillère blanche et où se détache la pyramide du Huascaran, à 6768 mètres d'altitude.

Et puis la route se transforme en piste, longeant les bergeries des fermiers quechuas, jusqu'à un col pierreux derrière lequel apparaît un lac cristallin dominé par deux manteaux neigeux.

«Voilà ce qui reste du Pastoruri, lâche Marco Zapata. Le glacier s'est coupé en deux en 2007 et a donné naissance à cette retenue d'eau qui fait 250 mètres de long...Il n'en a plus que pour quelques années.»

La Cordillère blanche

Les glaciers tropicaux, situés sous des latitudes où les radiations solaires sont très intenses, ont été particulièrement touchés par le réchauffement climatique. Lors du premier inventaire réalisé en 1960, la Cordillère blanche était couverte par 723 km2 de glaciers.

Aujourd'hui le Pérou reste toujours le pays qui compte le plus de glaciers tropicaux, mais le dernier relevé satellite de 2003 a montré qu'ils avaient fondu pour atteindre 535 km2.

«Non seulement nous avons perdu 26% de masse glacière en 33 ans, mais le phénomène s'accélère, souligne Jesus Gomez, un autre glaciologue. Jusqu'aux années 70, la vitesse de recul du front des glaciers était de 9 mètres par an... Aujourd'hui elle dépasse les 20 mètres.»

Ces dernières années, 10% des glaciers péruviens ont déjà disparu dans l'indifférence générale comme le Broggli, face au Huascaran, où les premières plantes poussent entre les pierres noires.

Privés de cette éponge naturelle qui libère l'eau lors de la saison sèche, les paysans du village de Huashao, en contrebas, sont désemparés.

Magno, porteur pour randonneurs étrangers, sait bien que les touristes s'époumonent dans la Cordillère blanche pour une seule raison: sa couleur.

«Ils admirent les glaciers, ils font des courses de glace, des ascensions. Si tout cela disparaît, ils vont rester chez eux», soupire-t-il.

L'eau, un enjeu crucial

Theophilia, son épouse, s'inquiète surtout pour le canal bordant ses champs de maïs et de pommes de terre, où depuis des temps immémoriaux s'écoule l'eau de la fonte. «Une cinquantaine de personnes l'utilisent et déjà, en août et en septembre, il n'y a plus d'eau.»

Les modèles scientifiques, en fait, prédisent que la fonte accélérée des glaciers va d'abord maintenir le flux des rivières andines, la baisse drastique de leur niveau n'intervenant qu'après 2030. Mais dès maintenant, les conflits liés à l'usage de l'eau se multiplient.

«La population augmente et l'eau des montagnes ne sert pas qu'aux champs des paysans quechuas, rappelle Marcos Zapata. Le Rio Santa, qui draine la Cordillère blanche, est utilisé par un barrage hydroélectrique qui fournit 5% de l'électricité du pays. Plus loin ce sont les mines, puis les cultures de légumes pour l'exportation qui sont aussi de très gros consommateurs.»

À Lima, à 450 km de la Cordillère blanche, l'eau est également devenue un enjeu crucial. De grands travaux ont été entrepris pour alimenter cette ville de huit millions d'habitants, plantée en plein désert. Une vingtaine de lacs ont été créés de l'autre côté des Andes, et un tunnel de 10 km a été percé dans la montagne. Mais le répit, là aussi, risque d'être de courte durée: comme le Pastoruri, ou le Broggli, les glaciers qui alimentent la capitale péruvienne sont eux aussi en voie de disparition.