(Ottawa) Pour s’assurer que le Bloc québécois est bel et bien « sorti du cimetière » – expression utilisée par le chef lui-même durant une récente entrevue à La Presse –, Yves-François Blanchet a pris soin d’attacher solidement le wagon bloquiste au train caquiste en appuyant toutes les demandes du premier ministre du Québec, François Legault.

M. Blanchet a donc pris sous son bras l’ensemble de ces demandes, présentées au début de la campagne fédérale, alors que le chef libéral, Justin Trudeau, s’y est montré réfractaire. Au passage, le chef bloquiste s’est félicité de voir qu’il y avait une « convergence » entre les valeurs du gouvernement caquiste et celles du Bloc québécois.

PHOTO ROBERT SKINNER, ARCHIVES LA PRESSE

Yves-François Blanchet, chef du Bloc québécois, est en train de donner un second souffle à sa formation politique.

Entre autres choses, M. Legault a demandé aux chefs de s’engager à ne pas contester la Loi sur la laïcité de l’État québécois (loi 21) devant les tribunaux, à instaurer une déclaration de revenus unique, à accorder au Québec des pouvoirs accrus en matière d’immigration et à accepter que la loi 101 s’applique aux entreprises de compétence fédérale qui sont installées sur le sol québécois. Le chef du Parti conservateur, Andrew Scheer, a fait savoir qu’il appuyait les trois premières demandes.

Le Bloc québécois a aussi indiqué qu’il comptait utiliser tout rapport de force qui lui serait accordé, advenant l’élection d’un gouvernement minoritaire le 21 octobre, pour faire respecter les exigences de François Legault par Ottawa.

Incursion en Ontario

À quelques jours du premier débat en français de la campagne, sur les ondes de TVA, tout sembler baigner dans l’huile pour le chef bloquiste. À un point tel qu’il s’est même permis cette semaine de faire une incursion à Casselman, à une heure de route d’Ottawa, dans l’Est ontarien, afin de dévoiler des engagements dont pourraient profiter les minorités francophones dans l’ensemble du pays.

Bien installé devant l’imposant drapeau franco-ontarien, il a proposé de rendre obligatoire le bilinguisme pour les juges de la Cour suprême du Canada, d’accorder plus de pouvoirs au commissaire aux langues officielles et de donner plus de mordant à la Loi sur les langues officielles.

De mémoire, jamais un chef bloquiste ne s’était rendu auparavant à l’extérieur des frontières du Québec durant une campagne électorale afin de prendre des engagements.

Évidemment, le Bloc québécois ne présente des candidats qu’au Québec.

Fort en verve, doué pour répondre aux questions des médias et habile pour aligner les engagements de son parti avec ceux du gouvernement Legault, Yves-François Blanchet est en train de donner un second souffle à sa formation politique, qui était au bord de l’implosion il y a quelques mois à peine sous la houlette de l’ancienne leader Martine Ouellet.

Jusqu’ici, il a connu un parcours sans faute même s’il doit encore justifier à l’occasion la pertinence du Bloc québécois à Ottawa. Des promesses comme celle de créer une péréquation verte pour récompenser les provinces qui s’attaquent sérieusement aux changements climatiques en réduisant les émissions de gaz à effet de serre ont suscité la curiosité.

A contrario, les autres leaders ont connu leur part de problèmes depuis le déclenchement des hostilités, en particulier le chef libéral Justin Trudeau (l’affaire SNC-Lavalin, le blackface, des promesses peu détaillées), tandis que le chef conservateur Andrew Scheer s’est retrouvé sur la défensive dans des dossiers tels l’avortement et l’environnement.

Il faut dire que le Bloc québécois a été quasi ignoré par les autres partis politiques depuis le début de la campagne. Mais cela risque de changer prochainement. Car un sondage Léger mené pour Le Devoir et publié mercredi comportait de bonnes nouvelles pour le Bloc québécois. Le parti souverainiste se trouve maintenant en tête dans les intentions de vote chez les électeurs francophones, à 29 %, trois points d’avance sur les libéraux (26 %) et cinq points d’avance sur les conservateurs (24 %). Dans le cas des libéraux, il s’agit d’un recul de quatre points de pourcentage chez les électeurs francophones en une semaine.

« Yves-François Blanchet a eu la vie facile jusqu’ici. Il se présente comme monsieur Environnement. Mais il a quand même un bilan pas très reluisant comme ministre de l’Environnement dans le gouvernement de Pauline Marois », a lancé un stratège libéral hier, en transmettant à La Presse des déclarations de M. Blanchet datant de mai 2013 où ce dernier disait vouloir être un « partenaire de prévisibilité » pour les entreprises pétrolières qui souhaitaient exploiter d’éventuelles réserves d’or noir au Québec.

Luttes à trois

À l’échelle du Québec, les troupes de Justin Trudeau demeurent en tête avec 32 % des appuis, neuf points d’avance sur le Bloc québécois et le Parti conservateur, à 23 %. Le Nouveau Parti démocratique est bon quatrième avec 9 %, tandis que le Parti vert récolte 8 % et que le Parti populaire du Canada doit se contenter de 3 %.

En somme, le Parti libéral domine dans l’île de Montréal, tandis que le Parti conservateur règne en maître dans la région de Québec (44 % selon Léger).

Mais dans le reste de la province, des luttes à trois serrées se dessinent entre les bloquistes, les conservateurs et les libéraux qui pourraient s’étirer jusqu’à tard dans la soirée du 21 octobre.

Les astres semblent donc s’aligner pour que le Bloc québécois sorte du coma parlementaire dans lequel il se trouve depuis la vague orange de 2011, quand il n’avait remporté que quatre sièges même s’il avait récolté 23,5 % des voix. En 2015, il avait fait mieux en faisant élire 10 députés avec seulement 19,3 % des suffrages. Mais il n’avait toujours pas de chef élu aux Communes, et le statut de parti reconnu, qui est lié à l’élection d’au moins 12 députés, lui avait de nouveau échappé.

Les experts en sondages calculent que tout parti politique qui obtient au moins 25 % des appuis entre dans une « zone payante » qui se traduit par des gains de plusieurs sièges. Yves-François Blanchet s’est fixé comme objectif de remporter la victoire dans au moins 20 circonscriptions.

Dans les rangs caquistes, on appréhende l’élection d’un large contingent de députés bloquistes à la Chambre des communes. Car si ces nouveaux députés du Bloc québécois pourraient être des alliés à Ottawa pour un certain temps, ils deviendraient inévitablement des adversaires en se rangeant résolument derrière le Parti québécois aux prochaines élections provinciales au Québec.

Un Bloc québécois ragaillardi pourrait donc être un couteau à double tranchant pour les troupes de François Legault.