L'anglais est devenu la principale langue de travail d'un grand nombre d'employés à la Banque Nationale, selon plusieurs sources, en particulier dans le secteur des technologies de l'information (TI). Ce changement en irrite plusieurs.

Samedi, La Presse a écrit que le premier vice-président des TI depuis 2007, John B. Cieslak, ne parle pas français. Par conséquent, toutes les communications doivent s'y faire en anglais et ceux qui ne maîtrisent pas cette langue sont écartés, nous a-t-on dit, ce que l'institution a nié.

Or, quatre autres sources affirment que la Banque a pratiquement abandonné le français dans cette division. «Cette politique de communication en anglais n'est pas officielle, car la Banque ne veut pas alerter les médias et nuire à son image de première banque québécoise. Plusieurs directeurs principaux en TI sous la direction de M. Cieslak ne sont qu'unilingues. Pendant les rencontres, il est demandé de parler en anglais», nous explique un informateur qui tient à garder l'anonymat.

Exigences d'IBM

L'anglais est notamment exigé pour toutes les communications avec IBM, principal fournisseur informatique de l'institution. Certaines personnes auraient tenté d'obtenir des documents en français venant d'IBM, sans succès.

Cette exigence d'IBM remonte à 2009. Au cours de négociations contractuelles, la Banque a abandonné la clause stipulant que le soutien d'IBM doit aussi être offert en français. «Dans une réunion, s'il y a un seul anglophone sur cinq ou dix personnes, la réunion est en anglais», dit un employé.

Actuellement, le plus important projet de la Banque est le programme MAX. Il s'agit d'un «projet majeur de transformation des processus d'affaires, dont le but est de maximiser l'efficacité», indique un document de la Banque. Or, tout le volet des TI de ce projet doit être réalisé strictement en anglais, nous dit un informateur.

Peur de parler

Autre exemple: à la fin de 2010, la Banque Nationale a lancé un appel d'offres pour renouveler ses services de télécommunications. Le système relie les 600 succursales du pays et les 20 000 postes téléphoniques, situés principalement au Québec. Nom de code du projet: Colorado.

Or, la documentation était uniquement en anglais. De plus, toutes les communications écrites entre les fournisseurs et les employés de la Banque devaient se faire dans la langue de Shakespeare. L'appel d'offres comportait même une clause exigeant que ces communications écrites soient en anglais, bien que la plupart des employés de la Banque et à l'externe s'expriment verbalement en français entre eux. «La raison sous-entendue est la présence de John Cieslak comme patron des TI», nous dit une source externe à la Banque.

Cette politique de l'anglais aurait des conséquences. «Ce problème rend l'environnement de travail morose et provoque un taux de roulement élevé des employés en TI par rapport aux autres secteurs de la Banque», soutient une source.

Même l'évaluation annuelle du travail des employés des TI se déroulerait généralement en anglais. Selon un autre informateur, «plusieurs employés ont dû partir pour trouver un autre emploi en français. Les employés ont peur de parler».

Pas qu'aux TI

La division des TI ne serait pas la seule dans cette situation. Un comptable qui a quitté la Banque dernièrement nous fait part du même phénomène pour la vérification interne des marchés financiers et de la trésorerie.

«Tout ce que je faisais était en anglais, tous les rapports que mon secteur produisait étaient en anglais et une grande partie des gens que je côtoyais ne parlaient pas français. J'avais un poste à Montréal», dit ce comptable.

Une autre source parle de la restructuration de 2008, pilotée par le Boston Consulting Group (BCG). Le PDG de la Banque, Louis Vachon, aurait alors ordonné que toutes les communications entre la haute direction et ses filiales se fassent en anglais, afin que les employés de BCG, anglophones unilingues, puissent en faire l'analyse. Ces communications ont duré près d'un an.

Le porte-parole de la Banque, Claude Breton, n'a pas voulu commenter chacun des cas énoncés plus haut. Il soutient que l'institution respecte la loi 101, même si elle n'y est pas assujettie, étant de charte fédérale. En vertu de la loi 101, «les entreprises ont l'obligation de respecter le droit fondamental des travailleurs d'exercer leurs activités en français».

«Nous n'avons pas la prétention d'être parfaits, dit M. Breton, mais nous faisons de notre mieux. Nous sommes une grande organisation francophone et nous en sommes fiers. Mais pour grandir au bénéfice de tous, il faut se développer à l'extérieur du Québec. Avoir des spécialistes qui parlent une autre langue est normal et ne constitue pas une menace pour le français à la Banque Nationale.

«Les marchés financiers et les TI évoluent dans un univers mondial, où il y a une prédominance de l'anglais. On fait le maximum pour travailler en français dans ce contexte», a-t-il dit.

La Banque ne serait pas seule dans cette situation. D'autres grandes entreprises du Québec ont baissé les bras en ce qui concerne l'utilisation du français, selon des lecteurs.

- Avec la collaboration d'André Dubuc