«Ça a été mon Vietnam.»

C'est ainsi que le sergent René Bellemare, seul superviseur en poste à Montréal-Nord le soir du 9 août 2008, a résumé son intervention au parc Henri-Bourassa après qu'un de ses agents ait abattu par balle un jeune et en ait blessé deux autres.

«La scène était chaotique. Il y avait trois blessés qu'on devait envoyer à l'hôpital. Je recevais des appels de partout: la direction, les relations publiques. Je devais superviser la scène, alors qu'une vingtaine de personnes se tenaient juste de l'autre côté de la clôture du parc. Je ne pouvais pas suffire à la tâche», a raconté le sergent au premier jour de son témoignage, hier, à l'enquête du coroner sur la mort de Fredy Villanueva au palais de justice de Montréal.

Ce soir-là, il manquait de policiers au poste de quartier 39. Un seul superviseur était en service plutôt que deux. Il manquait aussi un patrouilleur. C'est ainsi que pour la première fois de sa jeune carrière, l'agente Stéphanie Pilotte a fait deux quarts de travail de suite.

Quand le superviseur est arrivé au parc Henri-Bourassa, l'agente Pilotte s'est dirigée vers lui en pleurs, l'air «hors de contrôle». Il n'a rien compris à ce qu'elle tentait de lui dire. Puis l'agent Jean-Loup Lapointe est venu le voir à son tour.

«René, c'était pour un RM (règlement municipal). On s'est fait encercler. On a été au sol. Ça a tiré», lui aurait-il dit. D'autres collègues du Service de police de la Ville de Montréal (SPVM) ont déboulé sur les lieux pour débuter l'enquête qui sera transférée dans la même soirée à la Sûreté du Québec (SQ).

La version de l'agent Lapointe a souffert du «jeu du téléphone», du propre aveu du superviseur. Résultat: l'enquête a débuté sur des informations erronées. Dans leur déclaration faite à la SQ, quatre enquêteurs du SPVM racontent que les agents Lapointe et Pilotte ont été «encerclés» par une «vingtaine de personnes» et «étranglés». Tous disent que l'information provenait du sergent Bellemare. Un communiqué diffusé aux médias ce soir-là rapportait d'ailleurs ces informations erronées.

Le sergent Bellemare s'est défendu, hier, d'en être à la source. «Je suis abasourdi de voir que quatre enquêteurs me font dire des choses que je n'ai pas dites. Cela atteint ma crédibilité», a témoigné le superviseur, hier. Il jure avoir répété à ses confrères uniquement les quatre petites phrases confiées plus tôt par l'agent Lapointe.

Vers 21h, le commandant de Montréal-Nord, Roger Bélair, a donné congé au sergent Bellemare. Il lui a toutefois demandé de rester sur place à la disposition de la SQ. Or, aucun enquêteur de ce corps policier n'est venu le voir. Et il ne se souvient plus de ce qu'il a fait dans le poste de commandement mobile avant de rentrer chez lui vers 3h du matin. «J'ai un black-out», a-t-il insisté, hier.

Le sergent Bellemare n'en était pas à son premier transfert d'enquête à un autre corps de police. Treize mois plus tôt, en mai 2007, il a été impliqué dans une fusillade où deux de ses agents ont abattu un suspect au motel Henri-Bourassa. «On ne m'avait pas dit de séparer les deux agents à ce moment-là», a précisé le superviseur. Le soir du 9 août, il n'a donc pas cru bon isoler les agents Pilotte et Lapointe comme le spécifient pourtant les règles du SPVM en cas de politique ministérielle (transfert d'une enquête à un autre corps policier). Après l'émeute qui a suivi la mort de Fredy Villanueva, le sergent est tombé en congé de maladie, puis a été muté à un autre poste de quartier.

Par ailleurs, un policier qui a procédé à l'arrestation d'un des jeunes blessés par balle sur son lit d'hôpital le soir du drame, a reconnu, hier, avoir commis une erreur en l'inculpant de voies de fait armées. L'agent Benoît Joncas ne détenait pas de preuve que Denis Meas avait agressé un policier ce soir-là, encore moins avec une arme. «Je devais lui faire valoir ses droits. Si c'était à refaire, je l'aurais accusé de voies de fait graves», a indiqué le jeune agent, hier.

Aucune accusation criminelle n'a été déposée contre Denis Meas en lien avec l'incident du 9 août. Les avocats du camp Villanueva associent l'intervention du policier Joncas à une tentative d'intimidation d'un témoin. Surtout que le policier de la SQ chargé de l'enquête criminelle, Bruno Duchesne, a témoigné plus tôt à l'enquête du coroner que les jeunes avaient toujours été traités comme des témoins, et non, des suspects.