Alors que la Sûreté du Québec menait son enquête, le vice-président de la Fraternité des policiers de Montréal, Robert Boulé, a gardé secrètes les notes prises lors de son entretien qui a eu lieu le soir du drame avec l'agent qui a causé la mort de Fredy Villanueva.

Résultat: la Couronne ne connaissait pas l'existence de cette version recueillie à chaud lorsqu'elle a pris la décision de ne porter aucune accusation criminelle contre l'agent Jean-Loup Lapointe en décembre 2008, a-t-on appris, hier, à l'enquête du coroner André Perreault. «Personne n'était au courant», a dit M. Boulé, interrogé par le coroner.

De plus, le représentant syndical n'a pas séparé les agents Stéphanie Pilotte et Jean-Loup Lapointe dès les premières heures ayant suivi le drame, alors qu'il savait que cela contrevenait à la politique ministérielle, a-t-il révélé au premier jour de son témoignage. Les policiers auraient dû être séparés pour éviter une contamination de leurs témoignages. «Dans un monde idéal, ils auraient dû être séparés, mais ça n'a pas été le cas ce soir-là», a-t-il dit.

Rappelons que les avocats des jeunes témoins ont critiqué plus tôt dans l'enquête le fait que leurs clients se soient sentis forcés de donner leur version quelques heures après le drame, alors que l'agent Lapointe n'a remis sa version écrite à la SQ qu'un mois après les événements.

Robert Boulé compte plus de 25 ans de service à la police de Montréal. Depuis 2001, il est dégagé à temps plein pour travailler comme vice-président du syndicat. Le soir du drame, il était «de garde» pour répondre aux besoins urgents de ses membres.

La Fraternité a été rapidement avertie de l'incident. En fait, plus rapidement que le ministère de la Sécurité publique, qui a confié l'enquête à la SQ vers 20h. À 19h29, soit 16 minutes après les coups de feu, Robert Boulé avait déjà été mis au courant par un de ses collègues, révèlent ses notes déposées, hier, à l'enquête du coroner.

M. Boulé a rejoint les deux policiers à l'hôpital pour leur expliquer la définition d'une politique ministérielle. «Je suis là pour les sécuriser, les rassurer. Je n'agis pas à titre d'enquêteur», a-t-il dit hier. Lorsque les policiers ont obtenu leur congé de l'hôpital, Robert Boulé les a rejoints au poste de quartier 39.

Réaction à chaud

C'est dans le bureau du commandant du poste, derrière des portes closes, que le représentant syndical recueillera la version à chaud de l'agent Lapointe, en présence de sa coéquipière. L'agent Lapointe a parlé «99%» du temps. L'entretien a duré une dizaine de minutes durant lesquelles M. Boulé a pris quatre pages de notes, seulement pour «faire un suivi administratif, particulièrement pour la CSST», a expliqué le policier d'expérience. Cela n'est pas une pratique «inhabituelle», a-t-il ajouté.

Selon ce récit, l'agent Lapointe a croisé des «jeunes de 18-20 ans», «noir ou latino (sic)», alors qu'il patrouillait dans un «endroit d'intérêt», non précisé. Le policier aurait alors constaté une «infraction RM jeux hasard lieu public», peut-on lire dans ces notes succinctes.

Le seul jeune identifié dans le document est Jeffrey Sagor Metellus, qui «appartient aux Rouges». Dans cette version à chaud, les «quatre suspects ont foncé» sur le policier pendant qu'il tentait de maîtriser un autre «suspect» au sol, que l'on sait aujourd'hui être Dany Villanueva.

La suite de l'histoire est confuse. «Un a agrippé le policier par la veste au niveau suspect tenu par la ceinture. L'autre le bras et la veste», peut-on lire. Rien sur le fait que l'agent âgé dans la vingtaine a tiré quatre balles en direction du groupe de jeunes, tuant Fredy Villanueva et blessant deux autres personnes.

«Il parlait trop vite. Je n'arrivais pas à suivre. Il ventilait», a expliqué le représentant syndical au coroner, décrivant lui-même ses notes comme «de piètre qualité». Deux ans plus tard, M. Boulé affirme ne plus se souvenir des détails de l'entretien. Son témoignage se poursuit aujourd'hui.