En pleine discussion au téléphone avec sa copine, Jonathan Senatus était tranquillement assis dans la voiture de son ami Fredy Villanueva lorsqu'il a été témoin de l'intervention policière du 9 août 2008, à Montréal-Nord.

Le jeune homme a tenté en vain de filmer la scène avec son cellulaire. Après les coups de feu, celui qui avait 19 ans à l'époque s'est empressé d'appeler le 911. Le procureur du coroner, Me François Daviault, a fait entendre cet appel d'une grande intensité, mardi, au premier jour du témoignage de Jonathan Senatus à l'enquête du coroner André Perreault sur la mort de Fredy Villanueva.

On entend le jeune homme, en pleurs, dire à la préposée d'Urgences-santé qu'»un policier vient de tirer sur quelqu'un qui n'était même pas impliqué». Ce policier était en train d'arrêter quelqu'un d'autre, a-t-il précisé. On sait maintenant que cette autre personne est le frère de Fredy, Dany. Senatus a hésité à dire son nom à la préposée de peur qu'»ils» ne le lâchent plus, sans toutefois préciser à qui il faisait référence.

En bruit de fond, on distingue les sirènes des véhicules d'urgence et des cris. La préposée a demandé à Senatus pourquoi le policier avait arrêté quelqu'un. «Juste parce qu'il jouait aux dés par terre», a répondu le jeune homme, manifestement ébranlé. Après s'être assurée que les ambulanciers étaient arrivés, elle a invité le jeune homme à raccrocher.

Assise dans la première rangée de la salle d'audience, la mère de Fredy, Lilian Maribel Madrid Antunes, s'est mise à pleurer à chaudes larmes à l'écoute de cet extrait, si bien que le coroner a dû suspendre l'audience.

Un témoin plus posé

Jonathan Senatus est aujourd'hui étudiant en administration à l'UQAM. Il a moins de trous de mémoire et s'exprime beaucoup mieux que les jeunes témoins qui ont été appelés à la barre avant lui : Denis Meas, Jeffrey Sagor-Metellus et Anthony Clavasquin.

Il a déploré que, dans les premières heures suivant la fusillade, les policiers l'aient traité comme un suspect plutôt que comme un témoin. Placé en cellule, il s'est senti forcé de donner sa version des faits. Des policiers de la Sûreté du Québec, à qui l'enquête venait d'être confiée lui auraient dit que, s'il voulait partir, il devait faire une déclaration.

L'agent Lapointe a tiré «à l'aveuglette» en faisant un «balayage» avec son arme à feu, selon le jeune témoin. Après avoir atteint Fredy Villanueva, Denis Meas et Jeffrey Sagor-Metellus, l'agent Jean-Loup Lapointe a braqué son arme dans sa direction alors qu'il était à plusieurs mètres de lui, a-t-il expliqué, mardi. «Il m'a peut-être pris pour une menace», avance-t-il en raison du cellulaire de couleur métallique qu'il avait à la main.

Le jeune témoin a quitté Montréal-Nord depuis pour vivre à Saint-Michel. Dans son ancien quartier, les policiers sont plus arrogants qu'ailleurs, croit-il. «Il faut éviter que les policiers utilisent leur arme de service comme si c'était un jouet [...] Depuis le 9 août, quand je vois un policier, j'ai toujours une crainte», a dit le jeune homme, qui poursuit son témoignage aujourd'hui.