Denis Meas a de toute évidence oublié bien des choses depuis qu'il a été blessé dans le drame qui a coûté la vie à Fredy Villanueva, le 9 août 2008, dans le stationnement adjacent à un parc de Montréal-Nord.

Mais le trou de mémoire le plus complet - et le plus stupéfiant - qu'il a dit avoir, tandis qu'il témoignait devant le coroner André Perreault, lundi au palais de justice de Montréal, concerne une déclaration qu'il est censé avoir signée le lendemain des faits et que la Sûreté du Québec (SQ) a recueillie.

Denis Meas, qui a reçu une balle à l'épaule droite dans l'affaire, prétend n'avoir absolument aucun souvenir de cette déposition - un effet secondaire, semble-t-il, de la morphine qu'on lui avait administrée. Il a même dit ne pas se rappeler d'avoir reçu la visite des enquêteurs de la SQ ce jour-là.

L'avocat du coroner, François Daviault, lui a lu le document passage par passage, lundi matin, et à chaque fois, Denis Meas a dit ne pas s'en souvenir. Il en a également contredit plusieurs.

Par surcroît, le témoin âgé de 20 ans n'a pas voulu confirmer que les nombreuses signatures et paraphes qui s'y trouvent sont bien de lui. Il n'a admis qu'une chose: le «D» d'une des signatures ressemble aux siens. Il a assuré avoir une plus belle main d'écriture que ne le montre le document. «C'est vraiment mal écrit.»

Le procureur de la policière Stéphanie Pilotte, Gérald Soulière, lui a cependant fait remarquer qu'il est droitier et que puisqu'il était blessé du côté droit, il lui aurait été impossible de signer sa déclaration de sa main dominante. Il l'a donc forcément signée de la gauche, ce qui expliquerait sa piètre calligraphie. À moins que la SQ ait produit un faux document, ce que bien peu de gens semblent prêts à croire.

Vendredi, le coroner Perreault avait écouté les avocats débattre de la possibilité de rendre inadmissibles les dépositions de Denis Meas et de l'autre jeune blessé dans la tragédie, Jeffrey Sagor Metellus. M. Perreault a jugé que ces documents devaient rester en preuve, même si les deux jeunes hommes étaient hospitalisés et sous médication au moment de les produire.

Le drame, vu par Denis Meas

C'est Denis Meas qui avait suggéré à sa bande de jouer aux dés et c'est lui qui les a ramassés à l'approche de la voiture de police, a-t-il avoué, mais uniquement «par réflexe» et non parce qu'il se croyait pris en défaut. «Je ne savais pas que c'était illégal.»

Il a fait quelques pas en arrière, simplement pour laisser passer le véhicule, a-t-il raconté. Ses amis ont fait de même. «J'ai l'impression qu'ils reculaient tous pour céder le passage», a-t-il dit. C'est aussi ce qu'avait affirmé le frère de Fredy Villanueva, Dany, pendant son propre témoignage.

Denis Meas a bien vu que l'agent Jean-Loup Lapointe s'est adressé à Dany Villanueva dès qu'il est sorti de sa voiture, a-t-il indiqué, mais il n'a pas compris pour quelle raison ni entendu ce qui se disait.

Denis Meas et ses amis ont protesté en voyant que la situation s'aggravait, a-t-il ajouté. En quelques secondes, Jean-Loup Lapointe a fait basculer Dany Villanueva et ils se sont retrouvés par terre, Stéphanie Pilotte a ordonné aux autres jeunes de reculer, et les coups de feu ont retenti.

Rien dans la version de Denis Meas n'indique que ses amis et lui se sont rués sur le policier avant qu'il ne tire.

Immédiatement, «j'ai ressenti une grosse douleur dans le bras», a-t-il relaté. L'agent Lapointe était «encore par terre sur le ventre à Dany», le bras étendu avec son arme. «J'ai eu peur qu'il se mette à tirer encore.»

Le témoin a insisté énormément sur la «douleur intolérable» qu'il a ressentie à ce moment et sur les séquelles qu'il doit encore endurer. «J'ai toujours de la misère à lever haut mon bras», a-t-il précisé.

Fredy Villanueva était à au moins un mètre et demi, voire deux mètres, de Jean-Loup Lapointe quand celui-ci l'a abattu, d'après lui.

Denis Meas a ainsi placé Fredy Villanueva plus loin de l'agent que les témoins qui l'ont précédé. Un expert avait estimé qu'il se trouvait à une quinzaine de pouces de l'arme. L'agent Lapointe, pour sa part, a soutenu que le garçon mort à 18 ans l'avait saisi à la gorge.

«C'était comme un cauchemar, a illustré Denis Meas. On n'a rien fait pour mériter ça!»

«Pour moi, c'est un meurtre, c'est un homicide, a-t-il tranché. Dans ma tête, je me disais qu'il avait mal agi et que c'était fini pour lui. J'ai toujours peur des policiers, maintenant. J'ai peur qu'il recommence.»

Me Soulière l'a néanmoins amené à reconnaître que Stéphanie Pilotte n'a rien à se reprocher dans toute l'affaire.