Elles défilent en robe de soirée, font un numéro, expliquent leur «philosophie de vie» et sont interrogées par des juges. Mais ici, pas de bikinis. Il faut dire que les candidates de Ms Senior America ont toutes 60 ans et plus. Bien des années derrière la crinoline, mais pas de complexes, ont constaté notre journaliste et notre photographe dans ce deuxième et dernier volet de notre série «Vieillir cool».

«Elle a eu un remplacement de genou en juin», s'exclame l'animatrice, sous des applaudissements bien nourris. «C'est impossible de nous arrêter», ajoute son coanimateur du troisième âge.

 

Alors que la femme au nouveau genou quitte la scène après un numéro de samba, une dizaine de danseuses à claquettes sortent des coulisses au son de New York New York, vêtues d'un justaucorps en paillettes. Pendant ce temps, dans les coulisses, la prochaine participante, déguisée en pin up, ajuste sa jarretelle.

L'âge moyen des interprètes:environ 70 ans.

Nous sommes au talent show de Ms Senior America, à Atlantic City, l'équivalent de Miss America pour les femmes de 60 ans et plus. En octobre dernier, 44 États étaient représentés. Le slogan: «L'âge de l'élégance.»

Comme chaque année, des déléguées des concours précédents se retrouvent à ce qu'on appelle la National Pageant Week. Impossible de manquer les ex-candidates parmi les machines à sous du Casino Harrah's. Toutes se pavanent fièrement avec leur écharpe.

Depuis qu'elle a été sacrée Ms Massachusetts en 1994, Mimi Tanne revient chaque année au concours. Elle voit cela comme un congrès. «J'aime Senior America, car nous sommes toutes des soeurs. En plus, ça me tient jeune!» lance la femme de 82 ans, d'origine française.

Le talent show des anciennes a eu lieu une journée avant les préliminaires du concours. Dans une prestation très expressive, Mme Tanne a chanté Milord, d'Édith Piaf, habillée d'une robe noire à fines bretelles ornées de diamants.

Avec ses cheveux teints en blond et sa très petite taille, la femme est tout un personnage. Dans les coulisses, elle demande à être interviewée. «Je suis une survivante de l'Holocauste. Mon histoire est intéressante. Vous connaissez des gens qui me feraient chanter au Canada?»

Née à Cannes, Mimi Tanne retenait l'attention des gardiens allemands en chantant durant la guerre, alors que son frère aidait les Juifs à s'évader. Elle a été arrêtée, puis internée dans un camp de concentration. «Les gens me demandaient de chanter Madame Butterfly», raconte-t-elle avec fierté.

Aujourd'hui, Mme Tanne habite à Springfield, une ville située à 150 km de Boston. Elle est la preuve que tous les chemins mènent à Ms Senior America. Tout comme Johanne Santori, Ms New Jersey 2006, une Québécoise née... à Louiseville!

Mme Santori est maintenant directrice de l'organisation du concours dans son État. Pendant 17 ans, elle a travaillé comme hôtesse auprès des jeunes candidates de Miss America. Puis, il y a trois ans, elle a entendu parler du concours pour les femmes du troisième âge. «J'ai demandé à mes garçons: «Est-ce que je suis folle de faire une affaire comme ça à mon âge?»»

Finalement, Mme Santori est arrivée quatrième à la finale nationale. «Mais ce n'est pas la couronne qui est importante, dit-elle. Le but n'est pas le paraître. Nous faisons comprendre aux gens qu'à 60 ans, la vie n'est pas finie.»

La plupart des États représentés à ce concours ont leur cameo club, explique Mme Santori. «Une fois par semaine, nous faisons des spectacles dans des centres pour personnes âgées ou dans des hôpitaux de vétérans.»

La femme de 69 ans nous présente sa candidate, JoAnn Gordon. Le lendemain, celle-ci doit interpréter une chanson de Nat King Cole aux préliminaires. «Et je vais expliquer ma philosophie de vie dans le langage des signes, souligne-t-elle. J'ai enseigné à des enfants sourds pendant 35 ans.»

Pas de maillots de bain

Le concours comprend quatre épreuves: la robe de soirée, l'entrevue, le talent et la philosophie de vie. «Personne n'aurait voulu défiler en bikini!» lance le fondateur, le Dr Al Mott.

Le premier Ms New Jersey Pageant a eu lieu en 1972, mais la première épreuve nationale s'est déroulée en 1979. Le Dr Al Mott a voulu créer un concours pour revaloriser les femmes du bel âge. «Dans les années 70, c'était la période hippie. C'était une période difficile pour les vieux, raconte-t-il. Si tu étais vieux, tu étais out.»

Trente ans plus tard, le Dr Mott - qui a un doctorat en géologie - est fier de voir que près de 45 États sont représentés. «Nous allons compléter le pays», promet-il.

Pour Al Mott, les reines de Ms Senior incarnent «la dignité, la maturité et la beauté intérieure. Ici, les femmes se sentent aimées. Elles deviennent des porte-parole de l'empowerment

«Personne ne joue un rôle, tout est vrai», ajoute-t-il.

Le Dr Mott a beau parler de «vrai», il reste que beaucoup de candidates n'ont pas leur corps d'origine. La chirurgie est loin d'être taboue parmi les candidates. «Vous le voyez, il y a des femmes de 60 ans qui ont l'air d'en avoir 50. Mais elles sont tellement heureuses d'être sur la scène», souligne Mme Santori.

Certaines candidates prennent également la compétition très au sérieux. Ms Louisiane, par exemple, était escortée en tout temps par une maquilleuse et une coiffeuse. Elle avait même engagé un photographe. Lui-même n'en revenait pas. «Une limousine est venue me chercher à l'aéroport», nous a-t-il confié.

Pour sa part, Patricia Star, alias Ms Arkansas, a parcouru 1400 km à vélo pour se rendre à Atlantic City. Son mari, Gabriel Gonzales, était indigné du peu d'intérêt médiatique pour le concours. «J'ai engagé Bob Barker (l'ex-animateur de The Price is Right) comme publicitaire. Même un professionnel comme lui n'est pas capable d'attirer la presse.»

«Les gens les plus vieux mènent le monde. Ils n'ont aucun respect dans les médias. Pourtant, c'est eux qui paient les factures et qui votent», a-t-il lancé d'un ton colérique.

Les préliminaires

Mercredi après-midi. C'est le premier jour des préliminaires. Les femmes du groupe A exécutent à tour de rôle leur numéro, alors que celles du groupe B défilent en robe de soirée et expliquent leur philosophie de vie.

Pour ouvrir le gala, la reine sortante entonne une version opéra de God Bless America. L'animateur présente les juges, parmi lesquels se retrouvent un ancien Monsieur Météo, une designer, de même que Miss Philadelphie, une étudiante en médecine qui a survécu au tsunami.

Puis le rideau s'ouvre au son d'Andrea Bocelli. Les 44 candidates masquent leur visage avec un éventail de fausses plumes de paon, puis bougent les hanches au rythme d'une chorégraphie commune.

Après avoir défilé en robe de soirée, les femmes du groupe A récitent leur philosophie de vie, apprise par coeur. «Aujourd'hui est le premier jour du reste de ma vie», dit l'une. «Je peux tout faire avec le Christ, qui me donne de la force», dit l'autre. Ms Nebraska cite Michael Phelps: «Rien n'est impossible», alors que Ms Indiana ose parler de «diversité culturelle» et d'«ère technologique».

À l'entracte, ça grouille dans les loges. Les femmes du groupe B se préparent à monter sur scène pour leur numéro. «Je suis certaine que les gens à Montréal connaissent Joséphine Baker» nous lance Ms Nevada.

Mya Reyes ne fait pas ses 61 ans. La femme au look naturel est splendide. «J'ai appris le français à l'université, précise-t-elle. J'ai travaillé trois ans à Paris, à l'UNESCO.»

Son imitation de la «première star noire» est fort réussie. Mais on ne peut en dire autant de la danse hawaïenne de Ms Oklahoma et du numéro de maracas de Ms Alaska en madame à fruits. Gros malaise.

Parmi les autres numéros, des femmes ont dessiné, récité des poèmes ou joué une courte mise en scène. Plusieurs participantes portent un costume aux couleurs du drapeau américain, dont Ms Kansas, qui a fait un numéro de majorette au son de Danger Zone, une chanson tirée du film Top Gun.

D'autres candidates se sont plutôt démarquées en entrevue. La représentante des Iles Vierges a raconté le lunch qu'elle a eu avec la défunte Princesse Diana. Elle a parlé de l'importance de voyager pour connaître l'autre. «Il ne faut pas être divisés, mais ensemble.»

Avant la grande finale, les juges étaient impressionnés. «Le talent vient de partout au pays. Je suis fier d'être Américain», a dit à La Presse le juge Dominique Yezzo, avocat de Manhattan.

Ce vétéran de la guerre du Vietnam considère qu'il y a de «l'exploitation sexuelle» dans le concours Miss America. «Mais ici, c'est le dévouement de l'esprit humain à 60 ans.»

Sa conclusion: «Il devrait y avoir un Ms Senior Canada!»