Alors que Michel Desjoyeaux (Foncia) n'a plus que 250 petits milles à faire pour rallier l'arrivée, Roland Jourdain (Veolia) est encore en réflexion. Devra-t-il se résoudre à l'abandon alors qu'il est si près du but?

Je vous l'avais dit, Roland Jourdain est un entêté! Contrairement à ce qu'il croyait, non seulement Veolia n'a plus de bulbe de quille, mais son bateau n'a plus de quille du tout. Naviguant actuellement près des Açores en direction de l'île de Sao Miguel et avec 1500 milles à faire avant l'arrivée, Bilou se donne encore 24 heures afin de réfléchir à la possibilité de compléter son tour du monde même si son Open 60 ressemble désormais à un très gros dériveur.

Les ballasts remplis à bloc, donc six tonnes d'eau dans la cale, le marin explique :

«Il faut relativiser, ça va bien tant qu'il n'y a pas de mer. Hier, c'était impeccable, comme sur un gros dériveur lesté, plus qu'à mettre une ceinture de trapèze et hop, ça me rappelle l'école de voile. Le problème est qu'on ne contrôle pas les mouvements dynamiques. Le bateau pesant très lourd, la voile est donc très tendue et le bateau dérape... Ça va, mais ce n'est pas terrible. Le problème va être les déferlantes, car fixe, il est stabilisé, mais avec une déferlante... Si ça forcit, il faudra que je me mette en fuite, mais l'objectif étant d'aller vers les Açores, vers l'île de Sao Miguel, il faut que je monte encore un peu dans le vent. Il va progressivement passer à droite dans le nord Ouest et ça devrait durer 24h comme ça, avant une nouvelle dorsale. Ça va être vraiment le gros test, pour voir si je suis à peu près maître de la situation. Si ça devient un radeau, c'est beaucoup moins viable, mais tant qu'on arrive à être en "survie dynamique", ça va... La priorité restera ma propre sécurité et celle du bateau, je n'irai pas faire le fou, c'est évident. Si jamais il y a une prévision qui est correcte sur une semaine, avec du vent portant, ça ira. Comme le disent mes copains marins pêcheurs : un bon marin, c'est un marin qui rentre au port. La nuit dernière, j'ai réussi quand même à dormir, par tranches avec mon alarme. J'ai mon kit de survie à côté de moi, prêt à faire feu au cas où... Je dors avec les portes fermées, mais ce n'est pas le sommeil des grands jours.»

Tel qu'il l'avait indiqué hier, Michel Desjoyeaux est muet comme une carpe aujourd'hui. Il s'est offert à une courte conférence de presse tôt ce matin et depuis, point de contact avec la terre. Localisé en ce moment au nord de l'Espagne, en plein golfe de Gascogne, le skipper de Foncia vit ses dernières heures en mer après 83 jours d'une course effrénée digne des plus grandes régates de l'histoire. Il fait le vide et reprends son souffle alors qu'à la suite de 3 mois totalement seul et isolé, il se retrouvera demain devant plus de 100 000 personnes qui l'attendront et voudront se l'approprier dès le moment où il posera le pied sur la terre ferme.

Lorsque joint pour la dernière fois en mer, toujours habité de son sens de l'humour bien particulier, Desjoyeaux avait le moral:

«Le vent a bien molli depuis le milieu de la nuit, du coup ma progression est en train d'en prendre un coup, mais je ne désespère pas de vous rejoindre aux Sables d'Olonne. Je navigue avec une quinzaine de noeuds de vent et encore pas mal de mer qui s'est transformée en houle. Du coup, le bateau part en surf de temps en temps... Depuis ce matin, je suis en train de faire la course avec un cargo qui va vers Les Sables-d'Olonne ou La Rochelle. Quand le Falcon de l'armée de l'air m'a survolé hier, ils m'ont demandé de sortir, mais moi je ne sors pas quand il fait ce temps-là! Aujourd'hui? Que du bonheur d'être en mer par une belle journée, c'est pas mal pour finir un tour du monde. Je pense que la transition va être brutale entre être tout seul sur mon bateau et tout seul au milieu de milliers de personnes... Je tiens le cap à peu près sur Les Sables-d'Olonne et comme le vent mollit, il faut rajouter des m². Ce n'est pas encore toute la lingerie de petit temps, mais ça va être l'étape d'après. Au début de ce second Vendée Globe, il y avait moins d'inconnues et quelques menues ambitions. Comme quoi, quand on ne lâche pas, il peut se passer de belles choses... J'ai eu beaucoup moins de stress et de coups de mou qu'il y a huit ans. Je crois que finalement, j'en avais très envie, et le résultat est au bout. Je vais essayer de faire marcher Foncia le mieux possible vers la ligne d'arrivée : j'en ai plein les pattes avec le petit temps qui débute. Ça va me faire une petite étape du Figaro pour finir ce Vendée Globe et je vais passer du temps à la barre. Demain j'arriverai frais, il faut que j'aie le temps de passer cet après-midi chez le coiffeur et puis le barbier, car je ne suis pas très présentable. Je n'ai pas eu peur la première fois, j'ai trouvé ça super, donc j'espère que demain il y aura encore plus de monde, ça fait deux mois que je travaille mon synchronisme pour arriver un dimanche, en pleine journée! Je sais que vous allez avoir un petit peu froid demain, donc sortez les laines et amenez tout ce qu'il faut pour faire la fête, on va rigoler tous ensemble.»

La journée sera en effet très forte en émotions : dernier à quitter Les Sables-d'Olonne, reprendre 29 positions, devenir le premier double vainqueur de l'épreuve et finalement couronner le tout du temps record pour boucler la circumnavigation. Un seul de ces éléments suffirait à rendre l'ami Mich bien populaire et sollicité, mais puisqu'il l'est déjà, ce sera donc purement et simplement la consécration au titre de légende pour «Le professeur».

Il ne reste plus que le moment exact de l'arrivée comme mystère à cette édition. Verrons-nous Desjoyeaux toucher les quais des Sables D'Olonne le matin ou en après-midi? Desjoyeaux sera confronté à une petite crête barométrique qui le fera ralentir entre 22h00 et 3h00 du matin. Ce sera donc très serré pour demain matin alors que la marée sera favorable à son arrivée jusque vers 10h20. Dès ce moment, il lui sera impossible d'accoster avant 17h30, au retour de la marée haute.

Les positions à 11:00hrs TU + retard sur le 1er (milles nautiques)

1- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia),

2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 1459

3- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 1908 (11 heures seront à retrancher de son parcours)

4- Samantha Davies-GB (Roxy), 2836 (32 heures seront à retrancher de son parcours)

5- Marc Guillemot-FRA (Safran), 2928 (82 heures seront à retrancher de son parcours)

6- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 2959

7- Dee Caffari-GB (Aviva), 3127

8- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 3678

9- Steve White-GB (Toe in Water), 4579

10- Rich Wilson-USA (Great American), 5844

11- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 7291

12- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 7402

13- Vincent Riou-FRA (PRB), Abandon, Démâtage, (Classé 3e par le Jury International)

14- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), idem, chavirage au sud du Cap Horn

15- Jonny Malbon-GB (Artemis), idem, Problème de grand-voile

16- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac), idem, safran bâbord arraché

17- Sébastien Josse -FRA (BT), idem, Safran cassé

18- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), Idem, Barres de flèche cassées

19- Yann Eliès-FRA (Generali), Idem, Fracture à la jambe

20-Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), idem, multiples problèmes d'usure

21- Mike Golding-GB (Ecover), idem, Dématâge

22- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), idem, Échouage

23- Dominique Wavre-SUI (Temenos), idem Ennuis de quille

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), idem, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, Bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, Barres de flèches cassées

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, Dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage