Considéré comme l'un des obstacles marins les plus difficiles à franchir, le cap Horn confirme, persiste et signe. Arnaud Boissières (Akenas Vérandas), Dee Caffari (Aviva) et Brian Thompson (Team Pindar) se battent depuis hier avec une mer énorme accompagnée de rafales de plus de 130 km/h.

Si le cap Horn pouvait parler et raconter son histoire depuis les débuts de la navigation, il nous hanterait d'histoires de mauvais temps et de naufrages plus terribles les uns que les autres. Ce coin est un véritable cimetière à bateaux. À une latitude de 56 degrés sud, ceux qui veulent y passer n'ont pas le choix : ils doivent affronter les 50èmes Rugissants et faire le dos rond. Arnaud Boissières a été le premier à donner de ses nouvelles à la suite du début de la tempête. Naviguant dans des creux de houle et de vagues croisées par l'effet miroir du continent, Boissières se fait secouer sérieusement :

« Je pensais que ça allait mollir il y a une heure et ça ne mollit pas! C'est la première fois que je vois ça depuis le départ. J'ai eu 65 noeuds tout à l'heure et les vagues sont autour de 8 mètres dans les bonnes séries. La coquille du Fleet 77 (antenne du système communication maritime) est allée rejoindre le bulbe de quille du Roi Jean ! La mer est énorme avec un vent fort (pointes à 65-70 noeuds) ; à ce moment-là, soit tu réduis trop la voilure et tu subis, soit tu essayes d'avancer normalement. J'ai choisi la deuxième solution et je me suis retrouvé à faire un surf à 30,2 noeuds; je n'en menais vraiment pas large... Le bateau s'est couché deux fois. La première fois, il est resté couché un moment et j'ai bien cru que j'avais démâté. La deuxième fois, j'ai pris une vague par le travers et j'ai entendu un crac (l'antenne du Fleet) et tout a volé dans le bateau. Quelques petits bobos et une très grosse frayeur... J'avais enfilé ma combinaison sèche avant et je ne le regrette pas ! Il faut que je sois au cap Horn au plus tôt, car après il y a une nouvelle dépression qui arrive... »

Pour Dee Caffari la situation se complique. Comme prédit, sa grand-voile est en train de rendre l'âme. Elle navigue dorénavant avec quatre ris (le système pour réduire la surface de la grand-voile) et si les dommages s'aggravent, elle risque d'être forcée à affaler complètement et de se retrouver seulement sous tourmentin. Pas vraiment recommandable avec près de 14 000 km encore à faire. Caffari explique :

« La meilleure façon de décrire l'état de la mer serait de dire 'Toujours aussi horrible'. Le vent souffle encore à 50-60 noeuds constants. La mer est énorme. J'ai eu des pointes à 65 noeuds et depuis sept heures, j'ai des vents supérieurs à 50 noeuds. Le bateau va bien. Moi, je vais bien, mais la grand-voile n'a pas survécu. Je navigue avec quatre ris. Il ne me reste donc pas beaucoup de toile. Je ne peux pas réparer pour le moment. Je vois des lambeaux de toile qui pendent et qui s'envolent. Je ne peux que regarder ce qui se passe en me disant que c'est horrible... Je vais regarder ce que je pourrai faire quand le vent mollira. J'espère que ce sera pour bientôt. Selon les prévisions, le vent devrait mollir. Mais après, il y aura toujours une mer déchaînée. En tout cas, là je ne peux pas faire grand-chose. »

Dans un tout autre ordre d'idées, Roland Jourdain (Veolia) est surprenant. Les ennuis que le marin a connus à la suite de sa rencontre avec un cétacé semblent choses du passé alors qu'il lui aura fallu deux jours de travail à laminer des strates de carbone pour renforcer le mât et la quille. Normalement, il serait normal de croire que son bateau est très handicapé et si Jourdain le pense aussi, alors il cache très bien son jeu puisqu'il s'est même permis de reprendre un peu de distance sur Michel Desjoyeaux (Foncia). Jourdain accentue la pression psychologique sur l'ami Mich en laissant entendre que « le professeur » cacherait des problèmes techniques. Le skipper, plutôt de bonne humeur lorsque joint ce matin, explique :

« On a changé de pays. L'air est à 27°C, l'eau à 24, le vent est stable. Cerise sur le gâteau, je gagne des milles sans rien faire. Heureusement, vu que je suis encore un petit peu étourdi de mes séances de composite. Hier, c'était encore une journée collage/boulonnage à l'intérieur, mais le bateau va tout seul. Je suis content du boulot, en plus ça ne bronche pas, c'est vraiment gratifiant. Je ne tire pas sur le bateau à fond et les conditions ne sont pas dantesques, je touche du bois. Entre récupérer, observer et bricoler, je passe assez peu de temps sur les cartes météo, mais je trouve les vitesses bizarres, et me demande si Mich (Desjoyeaux) n'a pas eu plus de bricoles à faire qu'il ne veut bien le dire. Il aurait fallu que je passe plus d'heures à étudier les fichiers, mais mon pif me dit qu'il y a quelque chose de bizarre. En tout cas, ici c'est le top. Tu sors en « petite tenue », tu te prends des seaux d'eau sur la tête et tu es sec en deux minutes. Le bateau est penché, c'est un inconvénient, mais il n'y a pas trop de mer, c'est vraiment la belle vie. Pour espérer gagner une course, il faut d'abord arriver... Et comme on a réussi à réparer pour - je l'espère - arriver, plus rien ne nous empêche, potentiellement, de gagner. »

Il serait fantastique de se retrouver dans une finale chasseur-chassé entre Desjoyeaux et Jourdain. Avec tous les abandons depuis trois semaines, plus particulièrement ceux de Vincent Riou (PRB) et Jean Le Cam (VM Matériaux), la course a perdu un peu de piquant, bien que l'aventure se poursuit.

En réponse à Jourdain, Desjoyeaux ne semble pas du tout inquiété :

« C'est penché et ça va bien ce matin. Je n'ai plus à déplacer de matériel de l'avant vers l'arrière depuis la sortie du Pacifique et ça fait du bien. Je ne devrais plus virer de bord jusqu'au Pot au noir. La remontée de Bilou ne m'inquiète pas, mais si ça vous fait plaisir d'en parler, parlons-en. Il sera ralenti encore devant et pendant ce temps je vais prendre de la vitesse. Je considère que je possède une avance confortable avec trois ou quatre cents milles d'avance puisque Bilou devra faire des virements de bord qui lui coûteront sûrement des milles. En ce moment, je semble vouloir bien me sortir de l'anticyclone de Sainte-Hélène que je passe par sa bordure. Je n'ai pas beaucoup regardé les fichiers de l'Atlantique nord et avant toute chose, il faut passer le Pot au noir. »

Alors que la partie psychologique se dessine à l'avant, les conditions météo pour le reste de la journée et demain matin n'ont pas fini de faire baver les trois amigos qui sont à la veille de passer le Horn. À la suite d'une courte accalmie dans la journée, ils ne verront que le mauvais temps réapparaître avec ce que Météo France considère comme le plus gros coup de vent depuis le départ de la course. Une dépression tropicale s'est mariée avec une autre dépression du sud Pacifique et frappera le cap Horn directement au passage des skippers. Au menu préparé par mère Nature : 60 noeuds de vents constants, rafales jusqu'à 80 voire 85 noeuds (160 km/h), soit l'équivalent d'un ouragan de catégorie deux, et des creux de vagues entre 10 et 12 mètres. Les conditions s'annoncent tellement mauvaises qu'il serait possible de voir quelques marins chercher refuge dans les baies près de la côte argentine ou des Îles Falkland.

Les positions à 11h TU + retard sur le 1er (milles nautiques)

Suivez la position des skippers

1- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia),

2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 231

3- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 694 (11 heures seront à retrancher de son parcours)

4- Samantha Davies-GB (Roxy), 1667 (32 heures seront à retrancher de son parcours)

5- Marc Guillemot-FRA (Safran), 1951 (82 heures seront à retrancher de son parcours)

6- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 2595

7- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 2742

8- Dee Caffari-GB (Aviva), 2804

9- Steve White-GB (Toe in Water), 3904

10- Rich Wilson-USA (Great American), 5023

11- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 6641

12- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 6683

13- Vincent Riou-FRA (PRB), Abandon, Démâtage, (Classé 3e par le Jury International)

14- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), idem, chavirage au sud du Cap Horn

15- Jonny Malbon-GB (Artemis), idem, Problème de grand-voile

16- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac), idem, safran bâbord arraché

17- Sébastien Josse -FRA (BT), idem, Safran cassé

18- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), Idem, Barres de flèche cassées

19- Yann Eliès-FRA (Generali), Idem, Fracture à la jambe

20-Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), idem, multiples problèmes d'usure

21- Mike Golding-GB (Ecover), idem, Dématâge

22- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), idem, Échouage

23- Dominique Wavre-SUI (Temenos), idem Ennuis de quille

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), idem, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, Bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, Barres de flèches cassées

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, Dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage