Le rapport préliminaire des dommages au bateau de Sébastien Josse (BT) n'est pas réjouissant. Roland Jourdain (Veolia) a, quant à lui, frappé un véritable mur d'eau tandis que le Canadien Derek Hatfield s'est fait jouer un mauvais tour par ses pilotes automatiques mais est toujours seizième.

Les navigateurs ont subi hier le pire temps vu depuis l'édition 1996 de la course. C'est fait. Les marins à l'avant y ont vraiment goûté. Des vagues déferlantes tout simplement dantesques hautes de trois à quatre étages, des vents de 65 noeuds (120 km/h), rarement aurons-nous pu entendre des marins user de tant de qualificatifs extrêmes pour décrire les conditions de mer observées hier.

Qu'ils s'appellent Desjoyeaux, Jourdain, Riou ou Le Cam, peu importe leur expérience, tous en ont eu long à dire sur les 24 dernières heures, à commencer par Sébastien Josse (BT) qui fait route vers le nord afin de faire un recensement plus détaillé des dommages subis après avoir vu son bateau enseveli par une déferlante qui l'a carrément retourné de 180 degrés.

Les dégâts sont pour le moment une éolienne arrachée, une girouette en tête de mât absente, un toit d'habitacle craqué en trois endroits qui laisse pénétrer l'eau dans le cockpit et les deux safrans (gouvernails) de BT sont abîmés, dont un à première vue hors d'usage. Le marin peut donc seulement aller au nord depuis hier et poursuivra l'évaluation des avaries une fois la mer calmée.

Les risques de voir Josse abandonner sont élevés. Lorsque joint ce matin, il avait le moral dans les talons :

«C'est un peu surréaliste sur le coup, en une seconde, de sentir le bateau partir à l'envers. Tout nous tombe dessus, on est projeté à Mach 2 à l'intérieur, heureusement que j'étais assis à la table à cartes. On met une ou deux minutes à repérer le haut du bas, essayer de trouver une lampe, de comprendre ce qui se passe... Comme le toit est fissuré, de l'eau entre dans le bateau, et tu te dis que c'est grave. Tout ce qui est dessus est passé dessous, et vice versa : il y avait de la bouffe et des fringues partout. Je pense que j'ai eu de la chance de ne pas faire le tour complet, je ne devais pas en être bien loin. Vu les dégâts, on parle de tonnes d'eau qui se sont abattues sur le bateau. Le plus embêtant ce sont les safrans. Il y en a un qui dit bonjour à l'autre. Je ne peux pas aller où je veux, ni dépasser les 10 noeuds. Le pilote automatique ne sait plus trop quoi faire. Je suis obligé de bloquer la barre direction nord, pour gagner des eaux plus calmes et évaluer les dégâts. Si le safran est valide, clignotant à droite et la course reprend, s'il ne l'est pas, clignotant à gauche et la course est finie.»

Roland Jourdain (Veolia) s'est, quant à lui, fait une belle peur lui aussi et a pratiquement imité son ami Josse.

«Il m'est arrivé une bonne galère : j'ai presque fait un coup à la Jojo. J'ai une vague qui est rentrée dans ma chambre pendant que je dormais. C'était un moment assez calme avec le vent qui commençait à s'essouffler à la suite de la tempête et de nulle part, une déferlante a explosé sur le bateau. J'ai 300 litres d'eau qui sont rentrés. Il y a quelques dommages collatéraux au niveau de l'électronique. Pour vider, la pompe de cale semble suffire, même si j'ai dû écoper un peu. Heureusement que le moteur n'a pas été noyé. Depuis je fais gaffe.»

Michel Desjoyeaux (Foncia), mécontent de la qualité de sa navigation la veille, a lui repris un rythme qui le maintient à l'avant avec 68 milles d'avance sur Jourdain. Jean Le Cam (VM Matériaux) occupe dorénavant la troisième marche du podium provisoire avec 165 milles de retard.

Le Canadien Derek Hatfield (Spirit of Canada), toujours 16e, en a eu plein les bottes et la prise de gros temps ne fait que s'accumuler pour l'ex-employé de la GRC.

«J'étais dans le cockpit et le bateau était en train de passer sur la crête d'une vague de plus de 6 mètres et pour une raison inconnue, le pilote nous a fait descendre sur la pente jusqu'au fond du creux. Le bateau s'est planté dans la vague suivante et l'eau a ensuite recouvert le pont jusqu'au mât. J'ai bondi pour avoir une prise sur quelque chose, car je savais qu'une grosse vague allait déferler sur le pont. En bas de la pente, le bateau s'arrête net et s'est retrouvé travers à la mer. L'eau a inondé le cockpit et pendant 15 secondes, j'avais de l'eau jusqu'à la taille avant qu'elle ne se répande partout. Bilan : une table à cartes trempée, des bruits bizarres de l'ordi et une souris ainsi qu'un port USB qui ne fonctionnent plus. Tous les instruments étaient trempés, mais j'ai réussi à les sécher et pour le moment tout marche. Puis il y a ma couchette. Elle était complètement mouillée! Les deux sacs de couchage étaient par terre dans l'eau et tous mes vêtements secs y baignaient aussi...»

On comprend mieux pourquoi les marins expliquent que 30 à 35 noeuds de vent dans ces régions, c'est comme naviguer sur une mer sans vent...

En 1996, la même furie observée dans le Pacifique avait fait beaucoup plus de dommages. Quatre marins avaient dû être secourus in extremis à la suite de chavirages et le Montréalais Gerry Roufs n'a jamais été revu. Son bateau a été retrouvé échoué sur l'île Atayala au Chili plus de sept mois après la tempête qui l'a emporté.

La controverse générée à la suite de cette édition avait vu les architectes des Open 60 se faire carrément crucifier sur la place publique face à l'évidence que les bateaux retournés ne se relevaient pas en mer. Les architectes avaient en effet maximisé la largeur des bateaux afin de leur procurer de la puissance au portant au détriment de la sécurité. Lorsque le bateau de Roufs avait été localisé la première fois en mer, le 16 juillet 1997, plus de six mois après sa disparition, c'est avec la quille au ciel qu'il avait été photographié.

Cette très noire édition de 1996 aura eu finalement comme conséquence de changer les règles de sécurité. Depuis l'édition 2000, tous les bateaux doivent obtenir un certificat de retournement qui est validé par un chavirement volontaire de tous les bateaux avant la course, au cours duquel ils doivent se relever de manière indépendante, même en eau calme.

On ne le saura jamais, mais en 1996, les conséquences d'incidents comme ceux vécus hier par Josse et Jourdain auraient pu être beaucoup plus graves. En ce moment, la tempête faiblit mais de manière bien temporaire. Les heures qui suivent offriront un peu de répit et de repos aux navigateurs avant un regain de force de l'immense dépression en place qui devrait suivre les marins quelques jours encore.

Souhaitons aux skippers sécurité avant toute chose.

Les positions à 15h temps universel (TU) + le retard sur le 1er (milles nautiques) :

1- Michel Desjoyeaux-FRA (Foncia)2- Roland Jourdain-FRA (Veolia Environnement), 68

3- Jean Le Cam-FRA (VM Matériaux), 165

4- Armel Le Cléac'h-FRA (Brit Air), 338

5- Vincent Riou-FRA (PRB), 375

6- Sébastien Josse -FRA (BT), 522

7- Jean-Pierre Dick-FRA (Paprec-Virbac), 1014

8- Samantha Davies-GB (Roxy), 1433 (provisoire, suite à un détournement d'urgence)

9- Marc Guillemot-FRA (Safran), 1829 (provisoire, suite à un détournement d'urgence)

10- Dee Caffari-GB (Aviva), 2055

11- Brian Thompson-GB (Team Pindar), 2065

12- Arnaud Boissières-FR (Akena Verandas), 2076

13- Steve White-GB (Toe in Water), 2658

14- Jonny Malbon-GB (Artemis), 3348

15- Rich Wilson-USA (Great American), 3446

16- Derek Hatfield-CAN (Spirit of Canada), 3569

17- Raphaël Dinelli-FRA (Océan Vital), 4421

18- Norbert Sedlacek-AUT (Nauticsport), 4501

19- Yann Eliès-FRA (Generali), Abandon, Fracture à la jambe 20-Jean-Baptiste Dejeantly-FRA (Maisonneuve), idem, multiples problèmes d'usure

21- Mike Golding-GB (Ecover), idem, Dématâge

22- Bernard Stamm-SUI (Cheminée Poujoulat), idem, Échouage

23- Dominique Wavre-SUI (Temenos), idem Ennuis de quille

24- Loïc Peyron-FRA (Gitana Eighty), idem, Démâtage

25- Una Basurko-ESP (Pakea Bizkaia), idem, Bris au puits de safran tribord

26- Jérémie Beyou-FRA (Delta Dore), idem, Barre de flèche cassée

27- Alex Thompson-GB (Hugo Boss), idem, Dommages structurels

28- Kito de Pavent-FRA (Groupe Bel), idem, Démâtage

29- Marc Thiercelin-FRA (DCNS), idem, Démâtage

30- Yannick Bestaven-FRA (Aquarelle.com), idem, Démâtage