Frank Schleck, anxieux, appliqué, et son frère Andy, surdoué, insouciant, ont décidé de marquer l'histoire du cyclisme, en refusant la fatalité de la défaite et en jouant le panache là où d'autres calculent et tergiversent.

«Après Verbier, on a vu que Contador allait être difficile à battre», admet Frank, l'aîné des frères luxembourgeois, vainqueur mercredi de l'étape-reine du Tour 2009, au Grand-Bornand: «Mais nous n'avons rien à perdre, et on veut laisser notre trace dans la légende de la plus grande course du monde».

Frank, le laborieux, a osé devant la presse mondiale livrer à haute voix son rêve d'éternité. «Si on ne rêve pas, on n'avance pas, j'ai appris ça de Bjarne Riis», avait-il répondu un jour à un journaliste.

Pourtant, Frank le fidèle, contrairement aux usages, n'est pas venu seul à la conférence de presse du vainqueur de l'étape. Comme dans les cols alpestres, il est entré flanqué de son frère Andy.

«Je suis très fier de mon frère et de mon équipe», a dit Frank en préambule, «Andy n'a pas froid aux yeux, il n'a peur de rien. Il m'a aidé à gagner l'étape, et je saurai le remercier dans les prochains jours».

Le vainqueur du jour est, à 29 ans, l'un des meilleurs du peloton en montagne. Son cadet n'a que 24 ans, mais c'est bien devant le plus jeune des deux que le milieu cycliste s'extasie déjà. «Pour moi, Andy est le grimpeur le plus doué de sa génération. A 19 ans, il se comportait déjà en leader. Quand il ne gagnait pas, il ne cherchait pas d'excuses, il remettait ça le lendemain, sans se prendre la tête», raconte l'ancien directeur sportif Cyrille Guimard, qui l'avait dirigé en 2004 au VC Roubaix, club du nord de la France.

Un père «gregario»

Des années plus tard, c'est le même Andy que l'on retrouve sur le Tour de France, capable d'annoncer le matin qu'il va attaquer Contador avec son frère. Et de tenir parole.

Frank a une nature plus inquiète, due peut-être à son début de carrière compliqué. Après trois années de compétition sans grand succès, il se retrouve sans équipe à l'orée de la saison 2003. «Nous étions fin novembre, je n'y croyais plus. D'ailleurs je devais m'inscrire pour reprendre mes études. Et puis le téléphone a sonné !» C'était Bjarne Riis. Le Danois, qui a longtemps vécu au Luxembourg, acceptait de lui donner sa chance au sein de l'équipe CSC.

Alors qu'Andy semble avoir trouvé dans son berceau le talent qui le mène au sommet des cols, Frank avoue qu'il a progressé en regardant les autres: «De Jens Voigt, j'ai copié sa capacité à se motiver et à se surpasser en course, de David Zabriskie ses aptitudes à se concentrer avant un chrono, et d'Ivan Basso ses attitudes de leader», dit-il.

Le père des Schleck, Johnny, fut également un cycliste professionnel. Mais il n'avait pas l'ambition de ses fils. Ce «gregario», coureur de devoir et d'abnégation, parle encore avec nostalgie des années passées au service du grand Luis Ocana, au début de la décennie 1970. C'est de lui, dit-on, que les deux frères ont appris la générosité et l'altruisme.

Jens Voigt, le capitaine de route de Saxo Bank: «Schleck rime avec solidarité, dit-il, moi je sais que si, demain, je tombe en panne de voiture en pleine nuit, Frank viendra de suite à mon secours».

Mardi, Voigt a fait une grave chute qui l'a conduit à l'hôpital. Frank lui a dédié sa victoire mercredi.