Le procès de trois individus, dont un bagagiste d'Air Canada, accusés d'être impliqués dans l'une des filières d'importation de cocaïne par l'aéroport Montréal-Trudeau, a commencé hier, devant le juge Claude Leblond, de la Cour du Québec. C'est le premier procès à se tenir en marge de l'opération anti-mafia Colisée, terminée le 22 novembre 2006.

Bien que la police n'ait aucune trace des passeurs, ni saisi de cocaïne ou de valises, Me Sabrina Delli'Fraine, du ministère public, se dit en mesure de démontrer, grâce surtout à l'écoute électronique et le témoignage d'un expert de la police, que Michele Torre, 56 ans, Kamel Mahmoud Aoude, 36 ans, et l'agent de bagages Nino Fratollilo, 29 ans, ont trempé dans un complot visant à récupérer à l'aéroport, les 31 octobre et 1er novembre 2005, 50 kilos de cocaïne provenant vraisemblablement d'Haïti.

 

Tout a commencé quand les policiers de l'Unité mixte des enquêtes sur le crime organisé (UMECO), une escouade d'élite créée spécialement pour lutter contre la pègre italienne, ont intercepté, au cours de ces deux journées, plusieurs conversations codées impliquant l'un ou l'autre des accusés, ainsi qu'un certain Rodolfo Ignoto, qui travaillait lui aussi pour Air Canada. Accusé dans une autre histoire d'importation liée à Colisée, Ignoto, 41 ans, devait être appelé à la barre, mais la poursuite a indiqué, hier, au juge Leblond, avoir retiré son nom de la liste des témoins.

Selon l'écoute électronique, et l'interprétation qu'en fait la police, le scénario est à peu près le suivant: en début d'après-midi le 31 octobre, Michel Torre appelle Aoude pour lui demander à mots couverts de récupérer deux valises bourrées de cocaïne abandonnées il y a quelques jours à l'aéroport Montréal-Trudeau. Aoude s'empresse de transmettre le message à son contact à l'aéroport, Rodolfo Ignoto. Le lendemain matin, il s'ensuit une série d'échanges téléphoniques entre Ignoto et son collègue bagagiste d'Air Canada, Nino Fratollilo, en vue de retrouver les deux «grosses valises noires» manquantes. D'après la police, Fratollilo devait recevoir 50 000$ pour son aide.

Entre-temps, un enquêteur de l'UMECO à l'affût de ce qui se tramait sur les «lignes téléphoniques» a mis les douaniers sur la piste des fameuses valises égarées. À la tête d'une équipe de choc en place à l'aéroport, Éric Lapierre a tout de suite ordonné le passage «aux rayons X» de tous les bagages non réclamés débarqués des diverses compagnies aériennes, et qui dorment dans des soutes. Avec le résultat que cette opération n'a rien donné.

Fait d'importance, toutefois: au plus fort du ratissage, Fratollilo se serait approché d'Éric Lapierre en lui demandant. «Est-ce que vous en avez fini avec ces valises-là?» Le douanier acquiesçant, il est reparti avec «les trois vieilles valises sans tags», a relaté Lapierre. Intrigué, celui-ci dit avoir suivi l'employé d'Air Canada, puis l'avoir vu fouiller dans l'une des valises, à genoux derrière un comptoir. «J'étais sûr qu'il allait dédouaner les valises, mais ce n'était pas le cas», a-t-il dit, en expliquant que les valises auraient dû normalement être apportées dans une zone à circulation restreinte.

Selon les dires du douanier, Fratollilo lui aurait lancé «qu'il cherchait un portable pour savoir à qui appartenait la valise». Lapierre affirme avoir fouillé les valises à son tour, mais n'avoir trouvé rien de suspect à l'intérieur. Il a revu Fratollilo pour la première fois hier dans un corridor du palais de justice de Montréal. En réponse à quelques brèves questions de la défense, il a répondu «qu'en temps normal, tous les bagages non réclamés ou sans les étiquettes» de déchargement des compagnies aériennes sont quasi systématiquement fouillés dès leur arrivée.

Le procès reprend demain avec le témoignage du policier Joe Tomeo, de la GRC, chargé d'interpréter les conversations codées interceptées durant l'enquête. La défense a déjà annoncé qu'elle allait contester la présence de ce témoin à charge.