Des liasses de documents faisant près de 500 pages ont été déposés récemment au palais de justice de Montréal pour appuyer les ordonnances de blocage d'immeubles, de placements et de comptes en banque de mafieux arrêtés en novembre, dans le cadre de l'opération Colisée. Les documents révèlent l'univers de la nouvelle génération des criminels jeunes et riches. Ils montrent comment ils flambent leur argent et blanchissent leurs millions. Nos reporters André Cédilot et André Noël les ont lus pour vous.

Des entreprises légitimes, notamment des magasins d'alimentation Intermarché, ont aidé des mafieux à blanchir leurs revenus provenant du trafic de drogue et du pari illégal, selon des documents judiciaires déposés dans le cadre de l'opération policière Colisée. Francesco Del Balso, 36 ans, arrêté en novembre avec une centaine d'autres membres et proches de la mafia montréalaise, gagnait des millions grâce au narcotrafic et au pari sportif illégal, et en menaçant les mauvais payeurs. Son ami Giuseppe Torre, 35 ans, faisait fortune dans la contrebande de cocaïne.

En moins d'un an, les salons de paris en ligne dirigé par Del Balso avaient recueilli des paris de 391 millions et réalisé un profit brut de 17,6 millions. Del Balso et sa femme menaient un gros train de vie. Les inspecteurs du fisc posaient des questions. Del Balso et des hommes d'affaires ont accordé leurs violons avec des hommes d'affaires.

En février 2006, la GRC capte une conversation entre Del Balso et Cosimo Chimienti, président de l'Intermarché Lagoria, qui exploite trois magasins d'alimentation dans le nord-est de Montréal. «Il (Del Balso) lui demande de préparer les papiers pour le chômage parce qu'il veut aller sur le chômage pour un an, relate le document judiciaire. Chimienti rit. Del Balso lui dit que c'est sérieux et il veut les papiers.»

Vingt minutes plus tard, Carlo Sciaraffa, président de l'Intermarché Bellerose à Laval, «indique à Francesco Del Balso qu'il a été en retard pour la paye et que ce sera la semaine prochaine. Del Balso dit qu'il donnera à Sciaraffa six fois 1200 $ ou le montant qui sera sur le relevé.»

Autrement dit, Del Balso remettait de l'argent liquide à l'Intermarché, en échange de payes officielles, selon le document. Trois jours plus tard, «Carlo Sciaraffa dit à Francesco Del Balso que le chèque pour le salaire de cette semaine et le T4 sont prêts. Del Balso indique qu'il passera les prendre et, ensuite, il ira voir Nino (Cosimo Chimienti).»

Vérificateur de légumes

Joint par La Presse, M. Chimienti a nié qu'il avait aidé Del Balso à blanchir son argent sale ou à justifier ses revenus. «M. Del Balso travaillait pour moi, a-t-il dit. Il était supposé être vérificateur de fruits et légumes. Je lui avais donné plusieurs chances de travailler, mais j'ai fini par le mettre à la porte.»

Il a été impossible de parler à Carlo Sciaraffa, du marché Bellerose à Laval, mais son frère Michael, partenaire dans l'entreprise, a dit que Del Balso ne lui avait jamais remis de l'argent en échange de chèques de paye. Pourtant, selon l'écoute électronique, Del Balso lui a déjà dit «qu'afin de payer son salaire pour l'année prochaine, Malibu (un complice) va lui apporter 51 dimes' (51 000 $)».

Toujours en février 2006, la police capte cette conversation :

Sciaraffa : Ils (l'Intermarché) vont te payer pour un an, minimum. Parce que ça fait plus d'un an que tu es avec nous.

Del Balso : Quatre ans, mon frère.

Sciaraffa : Ah oui?

Del Balso : Le temps s'envole, on ne le voit même pas passer !

Sciaraffa : O.K., pas de problème.

Carlo Sciaraffa est aussi administrateur de la compagnie de financement Malts, de Laval. Toujours selon le document judiciaire, «Giuseppe Torre (arrêté lui aussi lors de l'opération Colisée) et Francesco Del Balso ont utilisé la compagnie de financement Malts pour financer l'achat d'une villa à Acapulco (Mexique)». Cette résidence luxueuse, construite sur une montagne, a trois salles de bains, une terrasse, une piscine et un appartement pour les domestiques.

La femme de Del Balso, Marisa D'Ambrosio, avait aussi besoin de justifier ses revenus. La Pâtisserie Pagel a été mise à contribution, selon le document. En août 2005, «Del Balso demande à Euplio Pagliarulo (administrateur de la pâtisserie) de remettre Marisa D'Ambrosio sur sa liste d'employés parce que son assurance emploi finit bientôt. Pagliarulo lui indique qu'il pourra le faire d'ici deux semaines. Del Balso dit à Pagliarulo qu'il doit prendre 43 000 $ divisés par 12 mois... Pagliarulo dit qu'il va s'en occuper... et Del Balso pourra le payer.»

M. Pagliarulo n'a pas répondu aux appels de La Presse. Quant à Giuseppe Torre, il déclarait travailler pour la compagnie Malts Finance. Auparavant, il avait déclaré travailler lui aussi pour l'Intermarché Bellerose, de Laval. Torre a déjà été actionnaire de Malts Finance. Il a créé le café bar Maré É Mondo avec Michael Sciaraffa et a été actionnaire du Lave-Auto Mondial. Sa femme, Polisena Delle Donne, était propriétaire d'un salon de coiffure, à Laval. La police estime «raisonnable de croire que les actifs (de Torre et de sa femme) proviennent, en tout ou en partie, des activités criminelles».