Une famille de Granby a eu recours aux menaces et à l'intimidation pendant deux ans pour récupérer 900 000 $ auprès des dirigeants du clan Rizzuto, a appris la Gendarmerie royale du Canada lors de son enquête sur la mafia sicilienne. Le conflit a failli dégénérer en guerre sanglante.

Dans un document de 131 pages accompagnant ses demandes de mandats de perquisition, la GRC raconte cet épisode en détail, sous le titre L'organisation (le clan Rizzuto) éprouve un conflit avec la famille D'Amico de Granby. En janvier 2004, le chef du clan, Vito Rizzuto, est arrêté à la demande des Américains qui l'accusent d'avoir trempé dans un triple meurtre pour le compte de la famille Bonnano de New York. Son lieutenant, Francesco Arcadi, prend du galon. Un mois plus tard, Luigi D'Amico lui téléphone du restaurant de son fils, La Trattoria Saint-Charles, à Granby, pour prendre rendez-vous.

À la fin de l'après-midi, les caméras cachées de la GRC révèlent la présence d'Arcadi, de Luigi d'Amico et de son fils Tiziano dans le bureau arrière du club social Le Consenza, qui sert de quartier général au clan Rizzuto, à Saint-Léonard. On ignore ce que les hommes se sont dit. Mais en août 2005, Arcadi explique à un comparse que les «motards» de Granby ont voulu «lui couper la tête». Il ajoute que Luigi d'Amico est venu le voir et l'a supplié de rencontrer son autre fils, Patrizio. Arcadi a refusé.

Kidnapping

Dans le même chapitre, la GRC rappelle les circonstances du kidnapping, le soir de l'Halloween, de Nicola Varacalli, un homme du clan Rizzuto, proche de Francesco Arcadi. La police ignore qui sont les ravisseurs. Mais il semble que ceux-ci ont kidnappé Varacalli pour envoyer un message au clan Rizzuto. Quoi qu'il en soit, Arcadi «mentionne qu'en vérité il a peur et qu'il garde ses yeux ouverts». Il dit «qu'il n'y a plus d'argent, là, que des restants».

Les négociations se poursuivent avec les ravisseurs. La GRC capte une multitude de conversations. Ainsi, dans le bar Laennec, autre repaire du clan Rizzuto à Laval, un homme de main d'Arcadi, Lorenzo Giordano, mentionne le nom de Patrizio D'Amico, qu'il associe aux «frenchman» (les Hells Angels). Il suggère de verser un demi-million de dollars maintenant et 400 000 $ plus tard, quand Varacalli sera libéré.

Quelques jours après cette conversation, Luca D'Amico, le cousin de Patrizio, entre dans Le Consenza et en ressort presque tout de suite. Il a remis une lettre à Arcadi, adressée à Nick Rizzuto, le père de Vito. Arcadi lit la lettre à voix haute. Les micros clandestins de la GRC captent une bonne partie de la lecture. L'auteur de la lettre «cherche un compromis à un litige, qu'il croit que seul Nick Rizzuto peut résoudre». Une semaine plus tard, le 8 décembre,

Varacalli est libéré

Mais rien ne semble réglé. Deux jours avant Noël, Patrizio, Luca D'Amico et un troisième homme entrent dans Le Consenza. L'un d'eux porte une arme. Les trois hommes sortent du bar et font un signe de la main à d'autres conducteurs. Un cortège de huit véhicules quitte l'endroit. Arcadi est mis au courant et appelle ses troupes à la prudence, parce que «le gars fou (Patrizio D'Amico) est dans les alentours».

Arcadi est lui-même filmé avec une arme à feu à la hanche. Des gardes du corps sont postés devant Le Consenza et à l'intérieur. Ils accompagnent les chefs dans leurs déplacements. Nick Rizzuto, qui dirige le clan en l'absence de son fils Vito, fait venir quatre hommes du Venezuela, fort probablement des tueurs. C'est au tour de Patrizio D'Amico d'avoir peur. Il conseille à un proche «de bouger avant qu'ils ne se préparent».

Restaurant fermé

On ignore si le conflit a été réglé et comment. La Presse a tenté de joindre les D'Amico, mais en vain. Le restaurant La Trattoria est fermé. La GRC poursuit son récit en rappelant le meurtre de Domenico Macri, en août dernier, mais ne le relie pas au conflit avec la famille D'Amico. Arcadi, manifestement, craignait pour sa vie : il a disparu de la circulation pendant deux mois. Désireux de garder le fort, ses hommes de main, Francesco Del Balso et Lorenzo Giordano, se procurent des véhicules blindés et se font accompagner de gardes du corps.

La veille des funérailles de Macri, les policiers ont vu trois membres du gang avec des mitraillettes et un pistolet dans un garage-entrepôt qui servait de cache d'armes au clan italien, boulevard Saint-Laurent, dans le nord de Montréal. Une semaine plus tard, la brigade antigang y faisait une descente et saisissait quatre armes automatiques de fort calibre, des chargeurs, plusieurs boîtes de balles et deux gilets pare-balles.

Les D'Amico n'ont pas été arrêtés, contrairement à la plupart des dirigeants du clan Rizzuto, à commencer par Nick, Paolo Renda, Rocco Sollecito, Francesco Arcadi et Francesco Del Balso. Un mandat d'arrêt a aussi été lancé contre Lorenzo Giordano, mais il reste introuvable depuis la rafle du 22 novembre dernier.