Des mois de surveillance électronique et de filatures. Puis, hier, le grand jeu. Soixante-treize personnes ont été arrêtées lors de la plus grande rafle antimafia de toute l'histoire canadienne. Dont une douanière et une dizaine de travailleurs à l'aéroport Trudeau. Et Nick Rizutto, qui tenait les rênes de la mafia montréalaise depuis que son fils Vito a été extradé aux États-Unis. De quoi congestionner l'appareil judiciaire.

Quelque 700 policiers se sont levés au milieu de la nuit hier. Plusieurs d'entre eux ne savaient pas pourquoi. Mais les ordres sont les ordres! Ils ont appris le sens de leur mission en arrivant à leurs quartiers généraux : participer à la plus grande rafle antimafia de l'histoire du pays. Ils ont enfilé leurs gilets pare-balles, ont serré leurs holsters et se sont répartis dans des centaines de voitures pour aller arrêter 90 personnes. À 6h pile, une dizaine d'autos fantômes ont tourné dans l'avenue Antoine-Berthelet, suivies de deux fourgonnettes, gyrophares éteints. C'est une rue riche et magnifique, entre la rivière des Prairies et le bois de Saraguay, dans le nord-ouest de Montréal.

Elle est connue comme «la rue de la mafia». C'est là qu'a été arrêté Vito Rizzuto, le parrain de la mafia canadienne, en 2004, avant d'être extradé aux États-Unis pour répondre à des accusations de complot de meurtres. Hier, les policiers se sont garés devant la maison de son père Nick, une vaste demeure dont la large porte est entourée de quatre hautes colonnes blanches, évaluée à 655 000 $ par la Ville de Montréal. Ils se sont aussi garés devant la maison de Paolo Renda, le beau-frère de Vito. Puis ils ont sonné aux portes.

Depuis son arrivée au Québec il y a 52 ans, Nick Rizzuto n'avait jamais été arrêté par la police dans son pays d'accueil. Avant que son fils prenne la relève, c'était lui le chef. Au cours des ans, son clan a accumulé une fortune évaluée à 400 millions de dollars grâce au trafic de drogue, à la corruption et aux rackets en tout genre. Hier, sa femme a dû être soignée pour un choc nerveux après avoir vu les policiers entrer.

Mais Nick Rizzuto, lui, n'a semblé ni surpris ni ébranlé. Il s'est rasé, il a boutonné sa chemise blanche jusqu'au cou, a enfilé veste et manteau et placé son feutre marron en biais sur son crâne dégarni. Il avait l'air du vrai mafieux sicilien qu'il a toujours été. Les policiers lui ont passé des menottes en plastique. Le patriarche a affiché un grand sourire pour les photographes, exposant deux rangées de dents impeccables malgré ses 82 ans. Il a été conduit juste à côté de chez lui, à la prison de Bordeaux.

Au même moment, les policiers perquisitionnaient dans 90 maisons et arrêtaient 73 personnes, dont le successeur pressenti de Vito Rizzuto, Francesco Arcadi, dans un chalet de chasse près d'Hemmingford, au sud de Mont-réal. Ils ont arrêté un lieutenant de ce dernier, Francesco Del Blaso, ainsi que Rocco Sollecito, ancien gérant du Cosenza, un café de Saint-Léonard qui sert de QG au clan sicilien.

La police a également appréhendé Nancy Cedeno, une douanière de 32 ans qui travaillait à l'aéroport de Dorval. Un mandat d'arrestation a été lancé contre une autre douanière travaillant pour l'Agence des services frontaliers du Canada. Ces deux fonctionnaires, ainsi qu'une dizaine d'employés ou ex-employés travaillant pour Air Canada, pour les services alimentaires Cara et pour une compagnie de bagagistes de l'aéroport, seront accusés d'avoir facilité l'importation de cocaïne.

Les douanières laissaient les passeurs de drogue de l'organisation traverser les douanes sans les envoyer à la fouille. Les bagagistes, eux, reconnaissaient les valises remplies de drogue grâce à des étiquettes placées par les trafiquants et les mettaient à l'écart. Les employés d'entretien de Cara savaient quels chariots de nourriture contenaient de la drogue, et les prenaient pour les remettre à leurs contacts.

L'organisation prévoyait importer 1,3 tonne de cocaïne, mais le premier chargement de 300 kg a été saisi en novembre dernier à Boucherville. La drogue, cachée dans des barils au milieu d'un chargement d'huile à moteur, provenait de Caracas, au Venezuela, et avait été transportée de l'État de New York au Québec par train. Après cet échec, les trafiquants ont abandonné leur projet d'importation.

Les 90 accusés dans le cadre de cette enquête, surnommée Projet Colisée, font face à un total d'environ 1000 chefs d'accusation pour des crimes commis entre 2003 et 2006. Plusieurs corps de police, regroupés dans l'Unité mixte d'enquête sur le crime organisé, y ont participé : la Gendarmerie royale du Canada, la Sûreté du Québec, la police de Montréal, celle de Laval, ainsi que les agences des douanes et du revenu.

Des membres du groupe se seraient associés avec une autre organisation criminelle pour exporter de la marijuana, en empruntant une route d'Akwesasne, une réserve mohawk qui chevauche le Québec, l'Ontario et l'État de New York. D'autres accusés trempaient dans le pari sportif illégal sur Internet, depuis Laval. En moins de deux ans, plus de 800 000 transactions ont été faites sur le site Web enregistré au Belize, rapportant des millions de dollars. La police a aussi fait une arrestation à Toronto, et une dernière en Nouvelle-Écosse.

Plus de trois millions de dollars canadiens et 255 000 $ américains ont été saisis. Des comptes bancaires ont été bloqués. D'autres saisies devraient suivre. Le surintendant Richard Guay, de la GRC, a dit que l'enquête, commencée en 2001, pourrait aboutir à de nouvelles accusations pour blanchiment d'argent. D'autres détails seront divulgués aujourd'hui.