Le gouvernement fédéral a-t-il l'absolue liberté de décider s'il demande ou non le rapatriement d'un citoyen canadien emprisonné à l'étranger?

Oui, affirmait Ottawa, dans l'un des principaux arguments qu'il invoquait devant la Cour d'appel fédérale pour justifier sa décision de laisser croupir Omar Khadr dans la prison de Guantánamo.

 

Non, répond le tribunal, la latitude du gouvernement n'est pas entière. Pas au point de se montrer complice d'actes contraires à ses obligations internationales, ou contrevenant à la Charte des droits et libertés.

Dans le cas d'Omar Khadr, de tels actes ont été commis à trois reprises, lorsque des représentants canadiens l'ont interrogé à Guantánamo, affirme la Cour d'appel.

Les responsables canadiens savaient qu'Omar Khadr était mal traité et subissait le supplice de la privation du sommeil destiné, comme toute forme de torture, à le faire passer aux aveux.

Ils l'ont interrogé quand même, et ont remis le compte rendu de leurs conversations aux autorités américaines. Ce faisant, dit le tribunal, ils ont enfreint l'article 7 de la Charte qui garantit le droit à la vie, à la liberté et à la sécurité. Et ils ont donc l'obligation de réparer cette faute en le ramenant au Canada.

Ce jugement est une excellente nouvelle pour Omar Khadr, qui vit dans des conditions inhumaines depuis l'âge de 15 ans. «Il est constamment enchaîné, il n'a droit à aucune instruction, je n'ai jamais vu quelqu'un laissé autant à l'abandon», commentait hier son avocat Dennis Edney, qui s'est rendu à Guantánamo à deux reprises au cours des six dernières semaines.

Pour le jeune homme dont la vie s'est arrêtée alors qu'il n'avait que 15 ans, il s'agit d'une troisième victoire dans la pénible bataille judiciaire qu'il mène pour sortir de Guantánamo.

D'abord, la Cour suprême a forcé le gouvernement à lui remettre tous les documents relatifs à sa cause. Ensuite, en se basant entre autres sur ces documents, la Cour fédérale a jugé qu'Ottawa devait le rapatrier. Et hier, la Cour d'appel a confirmé ce verdict, en affirmant haut et fort que le rapatriement d'Omar Khadr n'est pas seulement une obligation morale, mais aussi, et surtout, un devoir légal.

Après ces trois décisions qui penchent toutes en faveur d'Omar Khadr, le gouvernement Harper va-t-il maintenant en appeler à la Cour suprême? Tout, pourtant, milite en faveur du rapatriement du jeune homme. Ce dernier a accepté d'être poursuivi au Canada. Rien n'indique qu'il pose aujourd'hui un risque à la société. Les fautes canadiennes ont été largement documentées. Et surtout, le contexte international a changé. Omar Khadr est le dernier citoyen occidental encore détenu à Guantánamo, ce complexe carcéral que le président Barack Obama s'est engagé à démanteler.

D'ailleurs, selon toute probabilité, la nouvelle administration américaine le remettrait volontiers aux autorités canadiennes.

«Nous ne sommes plus en 2001», souligne Dan McTeague, le député libéral qui a suivi les dossiers de plusieurs Canadiens détenus à l'étranger.

Mais l'avocat d'Omar Khadr, lui, ne se fait pas d'illusions: la persistance avec laquelle Ottawa s'est battu depuis plus de six ans pour empêcher Omar Khadr de rentrer chez lui l'incite à penser que malheureusement, nous aurons droit à une quatrième manche...

Au-delà d'Omar

Cela dit, la décision d'hier a une portée plus large que le seul cas d'Omar Khadr. Car si sa situation est particulièrement dramatique, de nombreux autres Canadiens ont dû faire face à des situations kafkaïennes dans des prisons à l'autre bout du monde.

Plusieurs étaient des immigrants portant des noms étrangers, mais possédant néanmoins un passeport canadien. Et dans de nombreux cas, ils se sont sentis complètement abandonnés par Ottawa (lire à ce sujet notre dossier en pages A26 et A27).

Or, le jugement d'hier affirme que dans certaines circonstances, la Charte canadienne permet de protéger des Canadiens à l'extérieur du pays, se réjouit le juriste Paul Champ, spécialisé dans les questions de droits de la personne. «Ce n'était pas établi clairement par les lois actuelles», dit-il.

Le jugement établit également que lorsque des responsables canadiens rencontrent leurs concitoyens dans quelque geôle à l'autre bout de la planète, ils leur doivent les mêmes égards que ceux auxquels ceux-ci auraient droit dans leur pays. Aussi étonnant que cela paraisse, ça non plus, ce n'était pas très clair...

Indirectement, donc, le jugement d'hier concerne aussi des gens comme Suaad Hagi Mohamud, qui a été détenue pendant trois mois au Kenya. Ou Abousfian Abdelrazik, coincé pendant six ans au Soudan. Ou encore Maher Arar, qui a vécu un an d'enfer en Syrie avec la complicité des services secrets canadiens. Et bien sûr, tous les cas semblables qui pourraient se présenter à l'avenir.