L'adolescente de 15 ans sait à peine tenir un crayon. Son français est mêlé de créole. Elle est arrivée d'Haïti au début de l'année scolaire. Impossible d'intégrer une classe normale. Elle a atterri dans la classe d'accueil d'Angela Stoïca à l'école secondaire Calixa-Lavallée.

Au début de l'année scolaire, l'enseignante a souvent l'impression de parler à un mur. Plusieurs élèves arrivent d'Haïti, mais aussi du Maghreb, d'Amérique latine ou d'Asie. À 14, 15 ou 16 ans, ils débarquent parfois avec une scolarité équivalente à la deuxième année du primaire. Calixa-Lavallée commence l'année avec cinq classes pour les nouveaux arrivants et la termine souvent avec huit ou neuf groupes.

 

«Le problème est parfois double. L'adolescent ne parle pas français et il a manqué de stimulation. On n'a jamais discuté avec lui. On ne lui a jamais montré de livre, même dans sa langue. Même si je leur lis une histoire qui se déroule dans leur pays d'origine, ils ne connaissent pas les références», explique l'enseignante, elle-même immigrée.

Son local ressemble à une classe du primaire avec ses dessins d'oiseaux accrochés aux murs. La bibliothèque située à l'arrière est remplie de livres pour enfants du genre Poussin: petit deviendra grand. Les élèves préparent un projet scientifique sur le sujet. «Quel est l'oiseau national des États-Unis?» demande Mme Stoïca. «L'Obama», répond un élève chinois de 16 ans, arrivé il y a six mois. L'enseignante sourit. La plupart des élèves n'ont pas compris la blague. Elle leur explique à l'aide de mots simples le résultat de l'élection américaine.

«Patience», se répète souvent Mme Stoïca. Elle est bien placée pour comprendre ses élèves. Originaire de Roumanie, elle est arrivée au pays sans connaître un mot de français, il y a 14 ans. «Je ne rêvais même pas de pouvoir enseigner ici», raconte-t-elle. Son histoire aurait été applaudie à la commission Bouchard-Taylor. Elle a appris le français, s'est mise à faire du bénévolat auprès d'autres immigrés et a réussi à se faire embaucher à la polyvalente.

L'enseignante doit demander aux parents de ses élèves d'user de la même patience. Des pères maghrébins font parfois irruption à l'école, frustrés. «Leurs enfants parlent français, mais ils ne sont pas prêts à intégrer les classes ordinaires. Les parents voient ça comme un échec. On doit partir de leur frustration et les transformer en alliés», explique-t-elle.

La patience paie souvent. Il faut 10 mois en moyenne à un élève pour intégrer les classes normales. Parfois, c'est plus long, mais tout aussi payant. Un élève arrivé l'an dernier avait l'air absent. Il ne répondait pas aux questions. Mme Stoïca soupçonnait une déficience intellectuelle. «Ça lui a pris trois mois avant de se réveiller. Cette année, il a 80% de moyenne», indique l'enseignante.

 

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Toutes les photos du reportage sur l'école secondaire Calixa-Lavallée ont été prises par une classe d'élèves de cinquième secondaire inscrits à l'option médias. Nous les avons mis au défi de nous montrer leur quartier comme eux le perçoivent. Ils ont relevé le défi avec enthousiasme. Vous pouvez aussi les entendre et visionner deux vidéos qu'ils ont réalisées sur leur vision de Montréal-Nord à cyberpresse.ca/calixa

Les photographes de la classe de 5e secondaire sont : Imad Aber, Antoine Amnotte-Dupuis, Mauro Ariel Aragno, Amal Awada, Frédéric Boudreau, Marian Burcus, Corado, Melissa Calixte, Jonathan Castaneda Delgado, Jonathan Castilloux, Ketteny Charles, Mohamed Cheikh-Hussein, Maxime Cioccolo, Gabrielle Corbeil-St-Cyr, Simon Courchesne-Coulombe, Jethro Dimante, Pierre-Olivier Dorion, Félix Dunn, Hanadi Eid, Laurens Fradette, Mélissa François, Marie-Soleil Giroux, Liliana Lopez Rubio, Alexandre Martin, Marc-André Roy, Charles-Olivier Savard, Nathy Villa Guzman.