Vendredi prochain, le Québec plaidera en Cour suprême que le gouvernement fédéral n'a pas à réglementer certains actes liés à la procréation assistée. Parmi ceux-ci se trouvent certains articles relatifs au recours à une mère porteuse, une pratique permise au Canada mais non reconnue au Québec. À l'heure où un jugement de la Cour du Québec a nié à une femme le droit d'adopter sa fille née d'une mère porteuse, certains se demandent si le droit québécois ne devrait pas s'adapter à cette réalité indéniable.

D'abord, il y avait le papa, la maman, le bébé. Mais aujourd'hui, il y a aussi deux papas, ou deux mamans, et un bébé. Ou encore un papa, une maman, le ventre de la mère porteuse, l'ovule de la donneuse, le sperme du donneur, le médecin qui a mélangé le tout... et le bébé.

Au coeur de l'équation, il y a des individus qui veulent un enfant, et qui n'y arrivent pas pour toutes sortes de raisons. Et au bout du compte, des enfants qui rendent perplexes les tribunaux. En janvier, un juge de la Cour du Québec a refusé à une femme d'adopter sa fille née d'une mère porteuse: le Code civil, qui ne reconnaît pas les contrats de mère porteuse, ne permet donc pas aux tribunaux de régulariser l'adoption d'un enfant né d'un projet parental «illégal», a estimé le juge.

Mais l'histoire ne s'arrêtera pas à ce jugement, s'il faut en croire les spécialistes. Ce n'est qu'une question de temps avant qu'un cas semblable ne force les tribunaux à considérer de nouveau la réalité des enfants nés de la procréation assistée.

«Il faut être prudents»

Les parents, de plus en plus, réclament que l'État reconnaisse leur «droit à l'enfant», observe Alain Roy, professeur de droit à l'Université de Montréal. Mais le recours aux mères porteuses - permis au Canada, mais non reconnu au Québec - et aux donneurs de matériel génétique ne doit pas se faire à la légère. «Je crois qu'on devrait être extrêmement prudents, dit Alain Roy, parce qu'il y a des impacts sociaux fondamentaux qu'on aurait tort de négliger.»

Impacts d'abord sur la marchandisation du corps humain, la vente d'enfants, «et le danger que des femmes pauvres portent les enfants des femmes riches». «Ça, c'est inacceptable», martèle Dominique Goubau, professeur à la faculté de droit de l'Université Laval.

Dominique Goubau est favorable à une reconnaissance légale du recours aux mères porteuses au Québec. Les autres provinces canadiennes se sont posé les mêmes questions éthiques, explique-t-il. «Et elles ont noté que le vrai problème, c'est la rémunération.» Il faut empêcher, dit-il, que des femmes offrent leur corps à la procréation contre de l'argent.

La Loi fédérale sur la procréation assistée criminalise justement la rémunération des contrats de mère porteuse, mais permet un remboursement raisonnable des dépenses encourues. La filiation avec les parents adoptifs est encadrée. Au Québec, selon les interprétations du Code civil, les parents adoptifs sont condamnés à rester vagues sur les circonstances de la naissance de l'enfant pour pouvoir l'adopter légalement.

Tourisme de reproduction

Les contrats de mère porteuse ne sont pas reconnus par la loi québécoise, mais ils existent bel et bien. Dans une entrevue publiée en mars dans La Presse, le Dr François Bissonnette, directeur médical à la clinique de fertilité OVO de Montréal, indiquait que sa clinique supervise la grossesse d'une dizaine de mères porteuses chaque année. Le médecin plaide pour un encadrement légal de la pratique.

«Je préfère les faire encadrer ici et permettre aux couples de réaliser leur projet parental dans le cadre d'une activité où je suis sûr de protéger la mère porteuse, que de leur donner la simple option d'aller en Inde ou dans d'autres pays où je n'ai aucune juridiction, disait-il. Là, il y a certainement un très haut potentiel d'exploitation. Pour moi, le tourisme reproductif, c'est quelque chose qu'on doit éviter.»

Le cas de Mme Pageau (voir autre texte), qui est allée dans une clinique de fertilité à Chypre pour obtenir rapidement l'ovule dont elle avait besoin, fait d'ailleurs sourciller Dominique Goubau. «Il y a un problème d'éthique personnelle: on doit se poser de très sérieuses questions sur le consentement réel de la donneuse. C'est ça qu'on doit éviter.»

D'autant plus que dans une telle démarche, la donneuse peut être difficile à retrouver si un jour l'enfant désire connaître ses origines génétiques (c'est aussi le cas au Québec, où le don d'ovules et de sperme est anonyme).

Ce débat ne peut donc pas être envisagé sans tenir compte de la dimension identitaire de la personne à naître, dit Alain Roy. Car au-delà du droit à l'enfant, quelqu'un se préoccupe-t-il des droits de cet enfant? «Un jour ou l'autre, une quête identitaire sera vécue. Ce ne seront pas tous les enfants nés de la procréation assistée qui vont la vivre, mais certains vont la vivre.» Le système tel qu'il existe en ce moment ne répondra pas à ce droit fondamental. «Et je trouve ça terrible.»

Le Québec devant la Cour suprême

Vendredi, la Cour suprême entendra les procureurs du Québec et du Canada sur la constitutionnalité de 27 articles de la Loi fédérale sur la procréation assistée. La loi définit deux types d'actes liés à la procréation assistée: les actes interdits (comme le clonage humain) ainsi que les actes réglementés (comme le remboursement de certaines dépenses encourues par une mère porteuse). Les actes réglementés, à la différence des actes interdits, donc criminels, relèvent de la juridiction provinciale, selon Québec. La province n'est pas la seule à voir les choses sous cet angle: la Colombie-Britannique, l'Alberta, la Saskatchewan et le Nouveau-Brunswick se sont joints à la contestation juridique.