Un promoteur qui veut construire dans la pinède, des Mohawks masqués, la Sûreté du Québec dans le décor... L'escalade de gros mots, la semaine dernière à Kanesatake, avait des airs de déjà-vu. Pourtant, cette fois, tout a été différent. Entrevue avec Sohenrise Paul Nicholas, grand chef de Kanesatake.

C'est parfois à de petites choses que l'on voit que les temps ont changé. De petits détails, comme le fait que le conseil de bande de Kanesatake confie aujourd'hui à une firme de relations publiques le soin de s'occuper de son image.

Pas sûr, cependant, que les hommes masqués dans la pinède, l'autre vendredi, c'était dans le plan de communication. N'est-ce pas le meilleur moyen de renforcer le préjugé du méchant Indien sanguinaire?

Sohenrise Paul Nicholas sourit. «Bon, ça, c'était un peu mis en scène, pour lui faire peur (au promoteur). C'était pour le show. Il reste que personne n'était armé.»

«Personne n'a été blessé, rien n'a été cassé, poursuit M. Nicholas. Les gens ont bien agi. Mais c'est vrai que l'image que ça laisserait nous préoccupait. Ce n'est pas ce que nous voulons projeter.»

Les hommes et les enfants masqués n'ont pas fait jaser qu'aux tribunes téléphoniques. À Kanesatake aussi.

«Des gens trouvent qu'on y a été un peu fort, mais plusieurs ont réellement eu peur pour la terre, d'autant plus que la rumeur a eu tôt fait de s'amplifier. Des gens pensaient que, ce jour-là, les promoteurs arriveraient carrément avec des scies mécaniques pour abattre des arbres.»

Mais côté spectacle, M. Nicholas croit que le promoteur n'avait pas son pareil. «Ce qui est arrivé vendredi est arrivé parce que le promoteur a voulu de la publicité. Son scénario était écrit. C'est bien pour cela qu'il a appelé les médias (le Journal de Montréal)

En entrevue à La Presse, le promoteur a d'ailleurs expliqué qu'il avait envisagé de planifier ses visites sur son terrain un autre jour que le vendredi puisque ce n'est pas la meilleure journée pour faire les manchettes.

Ce nouvel épisode a bien sûr fait en sorte qu'on a un peu mangé de l'autochtone à la radio, mais, en général, Paul Thomas estime que beaucoup de gens ont vu clair et que certaines caricatures ont bien rendu ce qu'il en était réellement.

Ottawa intraitable

Pour régler tout cela, c'est finalement Québec qui a fourni l'argent. Pourquoi Québec, alors que les affaires amérindiennes sont essentiellement de compétence fédérale? Parce que le gouvernement Charest a voulu éviter à tout prix la répétition des événements de 1990? «Non, je ne crois pas, répond Paul Nicholas. Je crois qu'il avait, en toute bonne foi, le désir réel d'aller de l'avant.»

S'il avait fallu qu'Oka et Kanesatake ne s'en remettent qu'à Ottawa, Paul Nicholas croit que «les choses auraient très bien pu dégénérer».

Car dès le début, Ottawa a été intraitable. La revendication territoriale des Mohawks était, aux yeux du gouvernement fédéral, en tout point pareille aux dizaines d'autres en cours au pays. Qu'importe si l'endroit était ici particulièrement chaud, surtout 20 ans précisément après la crise d'Oka. Ottawa s'en est tenu à sa ligne habituelle et il n'était pas possible de l'en faire déroger, dit M. Nicholas.

Qu'on se rassure, les Mohawks n'ont pas l'intention d'exiger de Québec qu'il rachète toutes les terres qu'ils revendiquent, dit M. Nicholas. Ces terrains, en face de la pinède, étaient particulièrement symboliques.

Mais Paul Nicholas ne croit pas pour autant que les Mohawks doivent éventuellement se contenter de seules compensations financières s'ils obtiennent gain de cause dans leur revendication de la seigneurie du Lac-des-Deux-Montagnes.

Au gouvernement fédéral, on répète pourtant que, quand preuve est faite que des terres ont été effectivement spoliées, cela ne se conclut pas par la reddition des terres, mais par des compensations financières.

Paul Nicholas, lui, espère plutôt que les négociations aboutiront à une combinaison d'argent et de terres puisque Kanesatake manque d'espace. M. Nicholas ne s'en cache pas, tout en disant son désir de vivre dans un bon voisinage avec les Blancs d'Oka.

C'est d'autant plus possible que, contre le projet de mine de niobium, à Oka, Mohawks et Blancs sont cette fois du même côté de la barricade et comptent les uns sur les autres pour que cela ne se fasse pas.

Des choses qui ne changent pas, à Kanesatake? La vente de cigarettes, une activité toujours florissante que Paul Nicholas estime non seulement légale, mais essentielle à l'économie locale. Au bas mot, cela emploie de 100 à 150 personnes. S'ils veulent que la vente cesse, les gouvernements devront négocier, dit M. Nicholas.

Ce qui ne change pas non plus, c'est le rapport entre les sexes, très manifeste dans l'affrontement de vendredi avec le promoteur. Ce sont bien les femmes qui en ont mené le plus large, en mots et en crissements bien sentis de pneus de pick-up!

C'est comme cela depuis toujours, estime M. Nicholas. «Traditionnellement, quand quelqu'un fait du trouble, ce sont d'abord les femmes qui se chargent de lui dire de partir. S'il ne le fait pas, les hommes prennent la relève. C'est culturel. Notre société demeure une société matriarcale.»

Le chef en bref

> Sohenrise Paul Nicholas

> 37 ans

> Père de deux enfants

> Diplômé de l'Université Concordia en administration

> Fin de son mandat: été 2011