Benoit Labonté, chef de l'opposition, a pris les élus, fonctionnaires et ingénieurs par surprise, mardi, en séance extraordinaire, en les soumettant à un interrogatoire serré. L'aspirant à la mairie de Montréal a mobilisé le conseil municipal durant une heure en bombardant les professionnels du contrat des compteurs d'eau avec des questions pointues. Alors que le chef de Vision Montréal tiendra demain son premier congrès général, La Presse l'a rencontré à son bureau de l'opposition.

Q- La séance sur le contrat des compteurs d'eau n'a été convoquée que quelques jours avant sa tenue. Vous êtes arrivé dans la salle du conseil avec une pile de dossiers, au fait des étapes du contrat. Aviez-vous eu le temps de dormir?

 

R- Ha! Quelques heures en moins, effectivement. J'étais très préparé. On avait fait nos devoirs, et je suis entouré d'une excellente équipe. Je ne suis pas plombier ni ingénieur, alors on a consulté des experts. Et on est partis du début de l'histoire, à partir de l'appel de propositions, en avril 2007, puis on a épluché le dossier article par article. On a donc commencé la séance en parlant d'un contrat de 356 millions, puis on a terminé en constatant qu'il s'élevait à près de 600 millions.

Q- Avec quel sentiment êtes-vous ressorti de la séance? Étiez-vous satisfait des réponses qu'on vous a fournies?

R J'ai eu le sentiment que nous étions nettement mieux préparés qu'eux. À ma première question, je référais à un document simple, à savoir le sommaire décisionnel sur lequel tous les élus ont été appelés à voter en 2007, et ils n'avaient même pas le document en main. Alors, ça ne faisait pas très sérieux. Le fonctionnaire au dossier a ensuite expliqué qu'il n'avait pas la liste des addendas. Quant aux analyses économiques, on a demandé à les avoir, et on nous a répondu qu'on nous les transmettrait si on les retrouvait. Disons que je trouve qu'il y a une série d'incongruités dans le dossier. Ça laisse un sentiment amer.

Q- On vient de parler des aspects techniques du contrat des compteurs d'eau, mais il y a aussi toute la question d'apparence de conflit d'intérêts. Je fais référence aux deux séjours de Frank Zampino, ancien président du comité exécutif, sur le yacht de Tony Accurso. En point de presse, après la séance, le maire Gérald Tremblay vous a reproché de ne pas y être allé carrément, en demandant aux fonctionnaires s'il y avait eu de l'influence politique. Vous en pensez quoi?

R- Au contraire. On est allés dans le politique, oui, c'est-à-dire que les élus du comité exécutif sont impliqués tout au long d'un processus d'attribution de contrat comme celui-là. Et on n'a pas bien répondu à nos questions au sujet de la restriction de communication inscrite noir sur blanc dans le document d'appel de propositions. Pourtant, c'est clair. On ne peut pas communiquer (les soumissionnaires) avec les élus. Et Frank Zampino a lui-même admis avoir eu des contacts avec Tony Accurso durant le processus. Alors, ce n'est pas moi qui l'accuse, lui-même l'a écrit. Je pense que c'était une question légitime. On n'est pas au bout du dossier, loin de là. C'est maintenant au vérificateur général de faire toute la lumière.

Q- Vous avez déjà été membre du comité exécutif, avec l'équipe du maire Tremblay, avant de démissionner de son parti pour devenir chef de Vision Montréal. Alors quand le maire dit qu'il n'était pas au courant des croisières de M. Zampino, est-ce que vous le croyez?

R- En ce qui concerne nos vacances, il est vrai que nous n'en parlons pas en séance. Ce n'est pas un 5 à 7, c'est du sérieux. Mais je pense qu'il est légitime de se demander si le maire était au courant des séjours de Frank Zampino sur le yacht. Il me semble que quand on est maire et que notre bras droit s'absente des séances, on est en droit de savoir où il est. Parce que s'il y a eu des contacts interdits par l'appel de propositions, on fait quoi? Et si on le savait, est-ce qu'on a agi? Et de quelle façon?

Q- Vous avez déjà dit, il y a quelques semaines, que plusieurs citoyens vous ont demandé d'exiger la démission du maire de Montréal à cause du scandale des compteurs d'eau, mais aussi du dossier de la Société d'habitation et de développement de Montréal. Est-ce que vous y avez songé?

R- Quand j'aurai l'ensemble des faits, avec les rapports du vérificateur général, je prendrai une décision. Quand on est un élu, il faut agir de façon responsable. Je peux déchirer ma chemise, et demander des démissions à gauche et à droite, mais sur la base de quoi? Moi je veux des faits. Et quand je les aurai, je déciderai.

Q- Avez-vous été étonné de la sortie du vérificateur général, Michel Doyon, dans nos pages cette semaine, quand il a dit que c'était «prendre le monde pour des valises», au sujet du court délai d'enquête imposé pour les compteurs d'eau?

R- J'ai été surpris. Parce que ce n'est pas le genre de propos qu'un vérificateur général tient habituellement. Mais je suis d'accord avec lui. Ça représente l'état d'esprit de mon équipe, mais aussi de tous les Montréalais. Maintenant, il faut absolument obtenir le rapport avant les prochaines élections parce que ça fera partie du bilan de l'administration Tremblay. Alors, on (l'opposition) a demandé le rapport à la fin août, mais on pourrait vivre avec un rapport fin septembre.

Q- Il y a quand même eu une vingtaine de départs au sein de Vision Montréal depuis votre arrivée. On vous a déjà reproché de ne pas être un homme d'équipe, de ne penser qu'à vos intérêts personnels. Est-ce que c'est vrai? Est-ce la raison de tous ces départs?

R- Demandez à tous les groupes avec lesquels j'ai travaillé pour piétonniser Montréal si je suis un gars d'équipe. Il aurait été impossible d'y parvenir sans travailler en équipe. Ce qu'il faut comprendre, c'est qu'il y a toujours du brassage quand on arrive comme nouveau chef dans un parti. C'est comme ça partout, tant au provincial qu'au fédéral. Je travaille très bien en équipe, à une condition: tous ceux qui travaillent avec moi doivent avoir Montréal comme intérêt premier. Et le reste, les ambitions personnelles, ça découle de tout ça, pas l'inverse.

Q- Votre congrès de parti a lieu demain à l'Université Concordia. On voit déjà votre visage sur 300 autobus de Montréal, et dans le métro. Votre programme électoral va ressembler à quoi? J'ai par ailleurs entendu que Louise Harel va y assister.

R- C'est vrai. Je pense que c'est une personne qui a des bonnes idées, même si on n'a pas à être d'accord avec elle sur toute la ligne. Comme quoi il y a des personnes qui partent, et autant de personnes de qualité qui font leur entrée. La santé de Vision Montréal est bonne, on est passés de 92 membres à près de 2000 aujourd'hui. Et puis, nous sommes le premier parti à tenir son congrès en vue des élections. Quand j'ai été nommé chef du parti, j'ai dit clairement que mon objectif était le 1er novembre 2009, et qu'on gravirait les marches de l'hôtel de ville une par une. C'est ce qu'on fait.

Q- On a déjà entendu parler de votre projet d'Expo 2020. Mais qu'avez-vous d'autre en tête?

R- Les axes sont très clairs. Premièrement, toute la question de l'éthique et de la transparence. Deuxième axe, une ville fonctionnelle. Donc, il faut revoir le financement des arrondissements, le rendre équitable. Il y a un grand enjeu de fonctionnalité. On a créé une fédération de 19 arrondissements, pas une vraie ville. Alors sans enlever les responsabilités aux arrondissements, il faut rééquilibrer les pouvoirs stratégiques. Par exemple, je crois que le déneigement doit retourner au central. Et l'Expo 2020, ce n'est pas une fin en soi. Je ne veux pas refaire 1967. C'est un moyen de transformer la ville, les 10 années qui vont précéder vont permettre de recréer Montréal et les 25 années qui vont suivre vont engendrer des retombées incroyables. Je veux une exposition très urbaine, très dans la ville. C'est un événement qui doit faire respirer la ville.