Arrivé à Pékin dimanche, Richard Pound, qui représente le Canada au sein du Comité international olympique depuis trois décennies, multiplie les déclarations fracassantes. D'abord, il a reproché aux dirigeants de l'organisation d'avoir permis le relais international de la flamme olympique. Cette décision aurait pu avoir des répercussions fatales puisque plusieurs pays, dont le Canada, ont failli boycotter les Jeux, a-t-il dit à des journalistes en Chine.

 Dans une autre déclaration, il a blâmé le CIO pour avoir insuffisamment talonné Pékin sur la question de la liberté de la presse. Longtemps président du Comité olympique canadien, l'ancien champion de natation a été vice-président du CIO et président-fondateur de l'Agence mondiale antidopage. C'est aussi lui qui a eu la tâche délicate de faire le ménage du mouvement olympique, après les scandales de corruption des Jeux de Salt Lake City. Pour mieux comprendre ses coups de gueule, La Presse l'a joint mercredi dans son hôtel de la capitale chinoise.

Q: La Presse: On parle beaucoup de la pollution de Pékin. Comment trouvez-vous la qualité de l'air depuis votre arrivée?

R: Richard Pound: C'est vrai qu'il fait chaud et humide, mais je n'ai pas vu de smog. Je ne suis plus un athlète, mais si je l'étais, je n'hésiterais pas à courir à l'air libre.

Q: En 2001, le CIO a fait le pari qu'en accordant les Jeux à la Chine, on inciterait Pékin à mieux respecter les droits de l'homme. Or, des organismes de défense des droits affirment que la répression s'est accentuée. Est-ce que la décision de donner les Jeux 2008 à Pékin a été une erreur?

R: Non. Moi-même je n'ai pas voté en 2001, quand le choix de Pékin a été fait, parce que Toronto était aussi en lice et que je ne pouvais donc pas me prononcer. Mais j'avais soutenu la candidature de la Chine pour les Jeux de 2000. Je pense que les Jeux 2008 aideront la Chine à faire des progrès, que le pays sera transformé par les Jeux.

Q: Pourtant, depuis que Pékin a été choisie comme ville-hôtesse des Jeux, il y a eu la répression de la révolte tibétaine, le soutien chinois au gouvernement soudanais face au Darfour, l'emprisonnement de nombreux dissidents. Ne trouvez-vous pas que c'est gênant?

R: Il ne faut pas oublier qu'il y a 400 ans, le Canada était un pays de sauvages, avec à peine 10 000 habitants d'ascendance européenne, alors qu'en Chine, on parle d'une civilisation de 5000 ans. Il faut être prudent avec notre grande expérience de trois ou quatre siècles avant de dire aux Chinois comment gérer la Chine. Le président de la Chine doit permettre à 1,3 milliard de personnes de manger deux repas par jour. Leur situation n'est pas comparable à la nôtre. Et puis, quand le vote sur Pékin a eu lieu, les représentants chinois ont été très habiles. Ils nous ont dit que si on leur accordait les Jeux, cela accélérerait les progrès en Chine. On était piégés.

Q: Mais justement, d'après les défenseurs des droits de l'homme, la situation s'est plutôt détériorée. Vous croyez qu'ils se trompent?

R: Oui. Pour Amnistie internationale et Human Rights Watch, il n'y a jamais assez de progrès.

Q: Pourtant, vous avez déclaré dans une entrevue au New York Times que le CIO n'a pas assez insisté pour inciter la Chine à respecter des critères minimaux, entre autres en ce qui a trait à la liberté d'expression.

R: Je parlais uniquement de l'accès à l'internet. Les Chinois s'étaient engagés à offrir un accès «suffisant et acceptable» à l'internet. Mais pour Pékin, ces mots ont un sens bien particulier. Il aurait fallu être plus précis, leur dire exactement quels sites devaient être accessibles. Est-ce que les médias ont absolument besoin d'un accès au site du Falun Gong, par exemple? Franchement, je ne le crois pas. Mais les sites de BBC, d'Amnistie internationale, c'est une autre histoire. Si on avait été plus précis, on aurait évité le mouvement de panique.

Q: Avez-vous essayé d'accéder à ces sites depuis votre arrivée en Chine?

R: Non, je n'ai pas eu le temps. Mais je suis certain que si leur accès était toujours bloqué, ça se saurait.

Q: Vous avez reproché au CIO d'avoir permis le relais international de la flamme olympique. Pourquoi?

R: Il y a cinq ans, alors que je présidais la Commission d'étude des Jeux olympiques, nous avons recommandé de ne pas tenir le relais international parce qu'il coûte cher, apporte peu de bénéfices et comporte beaucoup de risques. Les dirigeants du CIO ne nous ont pas écoutés. Ils auraient dû prévoir que, surtout avec un pays hôte comme la Chine, cela conduirait à une situation de crise. À cause des manifestations qui ont suivi la flamme, plusieurs pays envisageaient de boycotter les Jeux. C'est une chose terrible à dire, mais sans le tremblement de terre qui a frappé le pays (en mai, dans la région du Sichuan), cette tendance aurait pu prendre de l'ampleur. Nous avons été en quelque sorte chanceux, le centre d'intérêt s'est déplacé.

Q: Le premier ministre canadien Stephen Harper a décidé de ne pas assister à la cérémonie d'ouverture des Jeux, mais a assuré qu'il ne s'agissait pas d'un boycottage politique. Qu'en pensez-vous?

R: Quand vous êtes un politicien, vous comprenez qu'une telle décision constitue une déclaration politique, que la Chine va l'interpréter comme telle. Et je crois qu'il s'agit d'une erreur, parce qu'on ne peut pas résoudre des problèmes qui exigent une discussion en restant à l'extérieur de la discussion; il faut être là et essayer de persuader.

Q: Et les athlètes? Que pensez-vous de ceux qui comptent arborer des bandeaux avec des slogans tels que «Les sports pour les droits» ?

R: Ils ont droit à leurs opinions personnelles. Mais les Jeux olympiques ne sont pas un congrès politique. Et il y a des règles olympiques. Si des athlètes débarquent aux Jeux de Vancouver avec des banderoles disant «À bas les conservateurs», eh bien, on va leur demander de les ranger. Nous avons d'ailleurs averti les athlètes canadiens de faire attention, d'éviter d'attirer l'attention des médias avec des gestes politiques.

Q: Vous-même, si vous participiez encore aux compétitions olympiques, auriez-vous des hésitations à venir à Pékin?

R: Pas du tout. Quand vous vous entraînez pendant sept ou huit ans pour faire compétition avec les meilleurs athlètes du monde c'est ça, la raison de votre présence aux Jeux. Vous n'êtes pas là comme étudiant de troisième année de McGill en sciences politiques

Q: Dans un tout autre domaine, le président du CIO, Jacques Rogge, a dit s'attendre à ce qu'on décèle environ 40 cas de dopage pendant les Jeux de Pékin. À Athènes, il y en avait eu 26. Comme ancien président de l'Agence antidopage, que pensez-vous de ces prévisions?

R: Je n'ai pas la moindre idée d'où viennent ces chiffres. Le message est clair maintenant, les athlètes savent que le dopage entraîne la disqualification. Tout le monde le sait. Alors, j'espère qu'il y aura moins de cas de dopage qu'aux derniers Jeux.